La Russie a-t-elle besoin de cours d'éthique ou de religion?

Par Iouri Filippov, RIA Novosti
La religion reviendra-t-elle à l'école? La Loi orthodoxe a été bannie, il y a quatre-vingt-dix ans, des classes scolaires. Depuis, l'Eglise en Russie reste séparée de l'Etat et de l'enseignement laïque et le nombre d'athées par tête d'habitant est le plus élevé du monde. Et pourtant, les appels au retour à l'expérience d'une époque révolue se font de plus en plus fréquents depuis ces derniers temps.
La Chambre civile instituée pour servir de porte-parole de la société civile a proposé au ministère de l'Education nationale de préparer un projet de loi réglementant les modalités d'enseignement des religions dans les écoles publiques et municipales. Le président de la commission pour la tolérance et la liberté de conscience, Valeri Tichkov, estime que les "Eléments de la culture orthodoxe" doivent devenir une discipline scolaire habituelle dans la majorité, sinon dans la totalité des régions du pays. "Tel est l'intérêt de la population car les croyants dans notre pays sont des chrétiens orthodoxes dans leur grande majorité", affirme-t-il.
Ce point de vue est approuvé par l'Eglise orthodoxe russe. Les "Eléments de la culture orthodoxe" font déjà partie, à titre d'expérience, de certains programmes scolaires. Dans la région de Belgorod, par exemple, 140.000 écoliers, du primaire à la fin du secondaire, étudient cette matière.
Le ministère de l'Education nationale qui a d'abord repoussé brutalement l'idée des cours religieux change aujourd'hui d'avis petit à petit. Il rejette de façon catégorique la possibilité d'une propagande pure et simple de l'orthodoxie ou de toute autre religion à l'école. La Russie a cela de particulier que ses découvertes scientifiques, ses réalisations économiques, ses mouvements pour les droits civils et les libertés fondamentales, bref, tout ce que l'on appelle le progrès, ont évolué des décennies et des siècles durant hors de la tradition religieuse et souvent dans un face-à-face direct avec elle. Aujourd'hui, nous sommes disposés à oublier tout cela. Bien que l'orthodoxie officielle n'ait jamais été une alliée de l'enseignement et de la science, le ministère de l'Education nationale se déclare prêt à chercher des compromis avec elle.
Quels sont les mobiles de cette métamorphose?
C'est que le mouvement pour le retour de l'enseignement religieux à l'école n'a pas pu naître de rien. Très pragmatique, l'Etat russe n'aurait pas accédé aux désirs des militants orthodoxes, s'il ne s'était pas heurté à toute une série de problèmes quasiment insolubles. Ayant abandonné l'idéologie communiste qui s'était avérée, au début des années 1990, incapable de servir d'appui spirituel à la société russe multinationale et multiconfessionnelle, l'Etat n'a rien trouvé pour la remplacer alors que la société, elle, ne semblait même pas disposée à chercher quoi que ce soit. Les tentatives d'inventer une nouvelle idée nationale se sont retrouvées dans une impasse et les partisans des valeurs civiles libérales étaient trop peu nombreux pour pouvoir enthousiasmer leurs millions de compatriotes. Le pragmatisme, la compétitivité, l'orientation sur des "oeuvres réelles", ces idées et beaucoup d'autres que l'Etat et les principales formations politiques proposent aujourd'hui ne sont pas considérés par la majorité de la population comme des normes de comportement universelles.
Cependant, à écouter les actualités on a l'impression que la société russe cesse rapidement de se représenter même les notions des valeurs éthiques les plus élémentaires. La corruption totale dans les structures publiques, l'incessante croissance de la criminalité, la violence familiale, à l'école et tout particulièrement dans l'armée, sont monnaie courante. Une tension raciale et interconfessionnelle extrême s'y ajoute. La guerre de Tchétchénie a été déclenchée par des hommes politiques, des deux côtés, mais les soldats n'ont pas manqué à l'appel, la haine étant leur état d'âme naturel. En Russie, la xénophobie tend à s'amplifier. Sur la Toile mondiale, on trouve des listes d'"ennemis de la nation russe". Lorsqu'une bagarre éclate entre différentes communautés, comme cela a été récemment le cas à Kondopoga, en Carélie, les autorités se montrent impotentes.
Le président Poutine affirme que si la délinquance juvénile n'est pas combattue, l'Etat aura dans quelques années une "génération socialement désorientée et penchant vers le nihilisme juridique". En d'autres termes, le diagnostic est établi: crise aiguë des valeurs éthiques.
La culture orthodoxe serait-elle une panacée capable de protéger les citoyens de Russie de la haine mutuelle croissante? L'Etat qui envisage d'employer des moyens simples voudrait le croire. Mais la Russie n'est pas un pays uniquement orthodoxe. Le président Poutine rappelle, d'autre part, qu'elle est aussi un grand pays musulman. Il y a dans le pays des judaïques et des bouddhistes, des dizaines, voire des centaines d'autres courants religieux, et le nombre d'athées convaincus reste, semble-t-il, le plus grand au monde. Le réveil passif de l'identité religieuse serait-il un bien pour une société aussi hétéroclite? Les événements qui se déroulent dans le monde depuis ces dernières années ne cessent de convaincre qu'une guerre civilisationnnelle n'est pas un mythe inventé au fond des bureaux mais une éventualité qui peut se matérialiser là où les contacts entre les peuples, les religions et les cultures font douloureusement ressortir la prise de conscience de l'identité nationale.
Il y a lieu de rendre hommage à la Chambre civile. Elle ne donne pas de recommandations universelles et ne se fixe pas pour objectif principal de donner aux écoliers russes des connaissances rudimentaires sur la vie dans l'autre monde mais de leur inculquer une conscience tolérante, de leur apprendre des valeurs éthiques parfaitement terriennes qui sont présentes dans toutes les religions mondiales. C'est l'objet principal de l'éthique. Mais pourrait-elle la trouver dans les dogmes religieux?
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