LA RUSSIE BOULEVERSEE PAR L’ASSASSINAT D’ANNA POLITKOVSKAIA

Аватар пользователя Voix de Russie

La journaliste Anna Politkovskaïa, qui travaillait pour le bi-hebdomadaire Novaïa Gaziéta, a été tuée par balles le 7 octobre dans le hall de son immeuble, à Moscou.

Vu la gravité de l’affaire et son retentissement, le Procureur général a chargé de l’enquête pour "meurtre prémédité" le service des affaires particulièrement graves. Le soir même, Viatcheslav Rosinski, substitut du Procureur général de Moscou, déclarait à la presse que l’enquête retenait, comme mobile le plus probable, celui d’un assassinat lié à son activité professionnelle (pour plus de détails, cliquez ici). Le Procureur général de Russie, Youri Tchaïka, a pris l’enquête sous son contrôle personnel.

Le Président Poutine a, pour sa part, assuré le Président Bush lors d'un entretien téléphonique que tout serait fait pour retrouver les assassins.

Nombre de commentateurs insistent sur la nécessité de retrouver les coupables, mais émettent a priori des doutes sur les résultats de l’enquête. Ainsi Alexéï Vénédiktov, rédacteur en chef de la radio Ekho Moskvy, rappelle que plusieurs journalistes de renom ont déjà trouvé la mort en Russie (Kholodov, du Moskovski komsomolets en 1994, Listiev, de la chaîne de télévision ORT en 1995, Youdina, rédactrice en chef de Sovietskaïa Kalmykia segodnia en 1998, Borovik, de Soverchenno sekretno en 2000, Khlebnikov, rédacteur en chef de l'édition = russe du magazine américain Forbes en 2004), mais que la justice n’a toujours pas conclu ces dossiers.

Les commentateurs sont unanimes à souligner le talent de cette journaliste d’investigation, sa déontologie, la passion avec laquelle cette militante des droits de l’homme défendait les causes qui lui étaient chères, expliquant sans relâche combien, selon elle, la guerre en Tchétchénie avait perverti la société russe.

Sans attendre les premiers résultats de l’enquête, les journalistes et les hommes politiques exposent leur avis, parfois forts divergents. D’aucuns pensent que des structures du pouvoir pourraient ne pas être étrangères à ce crime qui aurait pu être commandité par des personnes influentes au sein des structures de force ou par des hauts dirigeants des républiques du Caucase septentrional. Ils se fondent sur le fait que les derniers écrits d’Anna Politkovskaïa étaient consacrés aux anciens séparatistes tchétchènes qui commandent aujourd’hui les structures de force de cette république. Son dernier article, qu’elle n’aura pas eu le temps d’adresser à sa rédaction, devait, selon le rédacteur en chef adjoint de la Novaïa gaziéta, Vitali Yarochevski, "parler des tortures que le régime de Kadyrov inflige aux gens, aux Tchétchènes". Les collègues d’Anna Politkovskaïa affirment que son assassinat est, d’une manière ou d’une autre, lié aux événements de Tchétchénie.

D’autres évoquent l’ombre du FSB et du renseignement extérieur, suite aux articles de la journaliste sur la corruption dans les structures de force. La vengeance d’une armée russe humiliée par Anna Politkovskaïa ?

D’autres encore, analysant les conséquences possibles de l’événement, pensent que ce meurtre, couplé aux incidents de Kondopoga, en Carélie, à la dégradation des relations entre la Russie et la Géorgie et au durcissement de la politique d’immigration, pourrait stimuler l’opposition libérale, d’autant plus que l’Occident multiplie ses attaques contre Moscou, qu’il accuse de fouler aux pieds les droits de l’homme. Toutefois, affirme Nikolaï Pétrov (Centre Carnegie de Moscou) dans le journal Védomosti du 9 octobre, il n’est pas certain que ce meurtre déclenche une vaste campagne politique. Selon lui, l’élimination de la journaliste, comme celle, récente, du vice-président de la Banque de Russie, Andréï Kozlov, témoigne de la tension grandissante entre les divers groupes de l’élite russe, à l’approche de l’élection présidentielle de 2008.

Toutefois, certains, tel le journaliste Pavel Goussev, président de la commission de la Chambre publique en charge de la communication, de la politique de l’information et de la liberté de parole dans les médias, considèrent que l’assassinat de cette journaliste, symbole de la liberté de la presse, "portera aussi un coup à l’Etat, car elle adoptait des positions critiques sur de nombreuses questions et ce qui a été fait aujourd’hui l’a été dans l’idée d’atteindre l’Etat, le pouvoir, le journalisme, la liberté de parole".

Selon la radio Ekho Moskvy, l’Union des journalistes a adressé un message au Président Poutine pour lui demander de superviser ce dossier. Nous voudrions être sûrs, disent les journalistes, que vous prendrez sous votre contrôle personnel l’enquête sur ce crime monstrueux et prendrez des mesures pour que toute la vérité soit faite sur ce meurtre et qu'elle soit portée à la connaissance de la société. Anna Politkovskaïa, ajoutent-ils, a accompli jusqu’au bout son devoir professionnel et humain – dire la vérité – et soyez certain que les journalistes russes continueront de servir la cause à laquelle elle avait consacré sa vie et qui a apparemment causé sa perte.

Biographie
Née en 1958 dans une famille de diplomates, Anna Politkovskaïa avait fait des études de journalisme à l’Université de Moscou. De 1982 à 1993, elle avait travaillé successivement pour les Izvestia, le journal du Transport aérien, l’association Escart, les éditions Paritet, le journal Megapolis-Express. Puis, de 1994 à 1999, elle avait travaillé au journal Obchtchaïa Gaziéta, dont elle était devenue rédactrice en chef adjointe, avant de rentrer à la Novaïa gaziéta, en juin 1999. Elle s’était, depuis, rendue à maintes reprises dans les zones des hostilités et les camps de réfugiés au Daghestan, puis en Ingouchie et en Tchétchénie. Elle avait également participé aux négociations avec les terroristes qui avaient pris en otage les spectateurs du théâtre de la Doubrovka (octobre 2002). Le 1er septembre 2004, alors qu'elle se rendait à Beslan, où une école avait été prise en otage, elle rebroussait chemin, victime d'une intoxication qu'elle avait qualifiée de "tentative d'empoisonnement".