Karabakh: Bakou et Erevan attendent de nouvelles initiatives de Moscou

Par Serguei Markedonov, de l'Institut d'analyse politique et militaire - RIA Novosti.
De nouvelles possibilités s'offrent à la Russie de jouer le rôle principal dans le règlement du conflit arméno-azerbaïdjanais du Nagorny-Karabakh. L'essentiel est d'évaluer de façon adéquate les origines et les conséquences de la crise du processus de règlement pacifique.
La rencontre de février entre les dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan à Rambouillet, ainsi que les pourparlers des coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE à Washington (début mars de cette année) ont mis en évidence la crise aussi bien de la formule de règlement pacifique que des méthodes du processus de paix.
L'intensification du processus de paix et la préparation de la rencontre de Washington ont ranimé "les esprits belliqueux" en Arménie et en Azerbaïdjan. La raison en est l'optimisme exagéré des représentants de l'OSCE et d'autres médiateurs qui a suscité, d'une part, des espoirs énormes de "règlement définitif du problème" et, de l'autre, des déceptions non moins grandes.
La publicité faite autour de la pacification entrave le pragmatisme politique. De quel pragmatisme des dirigeants de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan peut-il être question alors qu'ils se trouvent constamment sous le feu des caméras de télévision, que les journalistes attendent d'eux des "progrès" et des "premiers pas vers la paix"?
Aux Etats-Unis, en Europe et en partie en Russie, la paix est interprétée d'une manière abstraite. Or, pour les citoyens des deux républiques de Transcaucasie, la paix n'est pas un compromis. C'est une victoire des "nôtres". Toute autre paix sera considérée comme une trahison des intérêts nationaux. Cela étant, le caractère public des pourparlers avec la participation des observateurs internationaux conduira inévitablement à un échec, car les dirigeants des deux Etats rivaliseront non pas sur le terrain de la "pacification", mais sur celui du patriotisme.
En témoignent les déclarations sévères faites par les hommes politiques arméniens et azerbaïdjanais à la veille et pendant la rencontre de Washington. Pour les deux parties, les pourparlers et la recherche d'un compromis ne sont pas un but en soi. Ilkham Aliev a déclaré: "L'Azerbaïdjan doit revoir sa politique de règlement du conflit, car la position de l'Arménie ne permet pas de parvenir à un accord de paix … Je suis catégorique, le confit du Nagorny-Karabakh ne doit être réglé que dans le cadre de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan".
Le président arménien Robert Kotcharian n'est pas en reste: "L'Arménie doit être prête à n'importe quel scénario". Il a énuméré les mesures qui seraient prises par son pays en cas d'échec des pourparlers. (A noter que cet échec est, en fait, prévu par le numéro un de l'Arménie). "Premièrement, l'Arménie reconnaît de jure la République du Nagorny-Karabakh. Deuxièmement, la responsabilité juridique de l'Arménie en matière de sécurité du peuple de la RNK est clairement stipulée, ce qui suppose la signature de toute une série de traités, en vertu desquels toute atteinte au Nagorny-Karabakh équivaudrait à une attaque contre l'Arménie. Troisièmement, l'Arménie renforce la zone de sécurité autour du Nagorny-Karabakh", a déclaré Robert Kotcharian. Des processus d'intégration dans le domaine de la défense et de la politique extérieure doivent commencer entre l'Arménie et la RNK, estime le président arménien.
Dans cet ordre d'idée, l'expression inoubliable d'un ancien premier ministre russe revient en mémoire: "On voulait faire mieux, mais le résultat s'est avéré le même". En l'occurrence, les deux formules de règlement pacifique s'avèrent compromises, et tout d'abord les rencontres entre les deux présidents. En tant qu'otages de leurs propres sociétés (qui sont d'ailleurs plus radicales que leurs dirigeants) et comme hommes politiques publics, les présidents ne peuvent pas mener de dialogue pragmatique au niveau des experts. Seuls les diplomates de carrière des deux Etats sont en mesure de le faire. La tâche des chefs d'Etat ne consiste qu'à légitimer les acquis obtenus par les experts. Il est également évident que ces acquis ne peuvent pas être enregistrés à la date prévue (avant les campagnes électorales en Arménie et en Azerbaïdjan).
Mais les rencontres entre experts seraient bien plus fructueuses que les sommets réguliers. Elles permettraient de transférer le problème du règlement du vieux conflit interethnique de la sphère publicitaire et publique dans le domaine pragmatique. La Russie actuelle qui exerce une grande influence sur les experts, les diplomates et les militaires de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan pourrait assurer le passage à cette formule de processus de paix.
Bakou et Erevan prêtent aujourd'hui l'oreille à l'opinion de la Russie. Une telle compréhension des initiatives russes n'existait pas il y a quelques années. Puisque le travail de routine des diplomates russes en tant qu'experts est plus efficace que les actions publicitaires et publiques, le changement de formule du processus de paix (passage des sommets aux rencontres entre experts) serait également avantageux pour notre pays.
La deuxième formule, qui nécessite sinon une révision, du moins une correction sérieuse, est celle du processus internationalisé de règlement pacifique. D'ailleurs, la pacification internationalisée au Nagorny-Karabakh qui a conduit à une crise qui pourrait servir de leçon pour la Géorgie actuelle qui considère l'internationalisation du règlement des conflits osséto-géorgien et abkhazo-géorgien comme une panacée.
Hélas, dans le cas du Karabakh, le Groupe de Minsk de l'OSCE n'a inventé aucune panacée. Au contraire, ses acquis et ses propositions sont toujours rejetés par Bakou et Erevan. Cela étant, la dynamisation de la participation "individuelle" de la Russie au règlement pacifique sans sortir du Groupe de Minsk et sans s'opposer à ses membres (surtout aux Etats-Unis et à la France) serait une variante optimale.
L'idée du passage des rencontres entre les premiers personnages de l'Etat à la routine diplomatique, ainsi que l'abandon catégorique de l'idée de "percée" dans le règlement du conflit pourrait être formulée par la Russie dans le cadre du Groupe de Minsk. Mais il serait erroné de réduire la participation de la Russie uniquement au Groupe de Minsk. La Russie a bien plus de motifs d'enregistrer des progrès au Nagorny-Karabakh que la France, les Etats-Unis et les autres pays médiateurs.
Le "problème du Karabakh" concerne, dans une grande mesure, la Russie, car environ deux millions d'Arméniens et près d'un million d'Azerbaïdjanais résident sur son territoire. Leurs diasporas en Russie sont les plus importantes du monde. L'Azerbaïdjan et la Russie sont des pays voisins ayant en commun non seulement des frontières et la mer Caspienne, mais aussi des groupes ethniques (Lesghiens, Avars, Tsakhoures). L'Arménie est l'allié le plus conséquent de la Russie au sein de la CEI (Communauté des Etats Indépendants) dans son ensemble et dans le Caucase du Sud, en particulier. L'Arménie est intéressée à l'extension de la présence militaro-politique de la Russie dans la région.
Enfin, dernier point. Bakou et Erevan attendent de la Russie de nouvelles idées sur le règlement du conflit. Nul ne peut affirmer que ces attentes sont conformes à la réalité, mais, dans les couloirs, les experts et les hauts fonctionnaires d'Arménie et d'Azerbaïdjan déclarent que la clé du règlement du problème du Karabakh se trouve à Moscou. Par conséquent, pour conserver son influence dans le Caucase du Sud, le Kremlin doit intensifier son activité pacificatrice aussi bien dans le cadre du Groupe de Minsk qu'en dehors de celui-ci, en proposant de nouveaux formats, idées et moyens de règlement du plus vieux conflit interethnique au sein de la CEI.
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