LE CONFLIT GAZIER RUSSO-UKRAINIEN ACQUIERT UNE NOUVELLE DIMENSION

Par Serguéi Koltchine, docteur en économie, maître de recherche à l'Institut des études politiques et économiques internationales de l'Académie des sciences de Russie - pour RIA Novosti.
Le nouveau round des négociations russo-ukrainiennes sur les prix du gaz qui a eu lieu la veille n'a pas donné de résultats concrets, ce qui n'a pas empêché le ministre russe de l'Industrie et de l'Energie, Viktor Khristenko, de déclarer que les parties espéraient parvenir à une entente sur le gaz avant la fin de l'année.
A ses dires, l'avancement rapide des négociations permet de préparer avant le 1-er janvier 2006 le paquet de documents indispensables à la réglementation des relations entre la Russie et l'Ukraine dans le secteur gazier.
Le même jour, avant la reprise des négociations, le président ukrainien Viktor Iouchtchenko avait exprimé sa certitude que Kiev et Moscou trouveraient aux problèmes du gaz une solution répondant aux intérêts des deux parties. "L'Ukraine est prête à payer le gaz aux conditions du marché mais avec une période de transition graduelle", annonçait son service de presse. Le président a souligné en même temps que l'Ukraine comptait sur la réciprocité de la part de la Russie.
Le conflit entre la Russie et l'Ukraine autour des prix du gaz et de son transit pour la période à venir a revêtu une acuité particulière. Fait curieux : les autorités ukrainiennes n'ont déclaré leur volonté de trouver un compromis que lorsque les plus hauts dirigeants russes ont, pour la première fois semble-t-il, pris le parti de Gazprom dans son face-à-face avec l'Ukraine. Notamment le président du Conseil de la Fédération Serguéi Mironov et les leaders de la Douma. Mieux, même le président russe a jugé nécessaire de s'exprimer, pour la première fois en des termes corrects mais catégoriques, sur les relations gazières avec l'Ukraine en signalant que la Russie n'avait plus l'intention ni d'accepter l'accumulation de la dette de son partenaire, ni le maintien des préférences injustifiées dans les livraisons de gaz.
Rappelons que Gazprom insiste sur le règlement des livraisons de gaz à l'Ukraine en 2006 au prix du marché, à 160 dollars les 1000 m3. Aujourd'hui, l'Ukraine les paie au tarif préférentiel de 50 dollars les 1000 m3 et ne cesse de réclamer le maintien de ces conditions avantageuses, en se référant à l'accord intergouvernemental en vigueur (jusqu'en 2013) qui consacre l'impossibilité de passer aux règlements en numéraire au prix du marché des livraisons et du transit de gaz. Gazprom, pour sa part, en appelle au même accord intergouvernemental dont l'article 2 établit que les tarifs du transit et le montant des paiements pour le gaz livré par la Russie doivent être précisés partant des procès-verbaux intergouvernementaux annuels.
Jusqu'à présent, la partie ukrainienne n'était pas d'accord avec Gazprom, ce qui traduisait moins la position de Naftogaz Ukraïny, partenaire du holding russe, que celle de la direction du pays. Là, tout est clair : à la veille des législatives elle craint qu'une éventuelle hausse des prix des services communaux et un nouveau ralentissement de la croissance économique du pays n'influencent négativement les électeurs.
Il faut dire que durant bien des années les autorités russes se sont montrées compréhensives envers ces arguments des dirigeants ukrainiens, elles se sont distanciées vis-à-vis des conflits entre les acteurs économiques et les ont même aidés à les régler par le truchement d'ententes intergouvernementales (prise en compte des dettes, troc...) Depuis, la situation a changé de façon radicale. Pour plusieurs raisons conjuguées.
Premièrement, la "malléabilité" de la Russie était à bien des égards conditionnée par des motifs politiques extérieurs, notamment par la loyauté des régimes post-soviétiques envers Moscou. Les dernières déclarations de Kiev (Tbilissi, Chisinau et d'autres capitales) sur leur "choix euro-atlantique" changent totalement la situation. Bien qu'on ait du mal à comprendre de quel choix il s'agit et à quel point il répond aux réalités de la situation intérieure et extérieure des pays post-soviétiques, il est clair que la Russie ne peut plus compter sur la loyauté de ses anciens alliés au sein de l'ex-URSS. A preuve, entre autres, les tentatives réitérées de l'Ukraine d'aggraver la discussion autour de la présence de la Flotte russe de la mer Noire en Crimée.
Deuxièmement, le prix des concessions faites par la Russie aux anciennes républiques soviétiques a monté en flèche en raison de la nouvelle conjoncture sur le marché mondial des combustibles. Si auparavant les facilités accordées en réciprocité en matière de prix du gaz et de tarifs du transit étaient du moins comparables, aujourd'hui la Russie a intérêt à payer le transit au prix du marché mondial contre un règlement adéquat de ses livraisons d'hydrocarbures. Le décalage des prix n'est pas à notre avantage, vu les volumes des exportations de gaz.
Troisièmement, la récente décision de la Douma d'annuler la limitation imposée à l'acquisition d'actions de Gazprom par les étrangers (le bloc de contrôle - 50% plus une action - appartenant à l'Etat) engendre naturellement une situation nouvelle où les intérêts des investisseurs étrangers ne seront nullement lésés au profit des relations préférentielles de Gazprom et de la Russie avec tels ou tels partenaires. Le maintien des prix de faveur du gaz russe pour l'Ukraine ou d'autres pays entre en contradiction avec la stratégie de développement du secteur gazier russe orienté vers une coopération fondée sur les principes du marché.
Compte tenu de ce qui vient d'être dit, les autorités russes, pour la première fois de toute l'histoire de la Russie contemporaine, ont réagi avec une brusquerie inhabituelle au sempiternel conflit caractéristique des relations russo-ukrainiennes dans le domaine du gaz. Le président russe Vladimir Poutine a notamment déclaré qu'il ne veut pas mettre "les collègues ukrainiens dans une situation difficile" mais que l'Ukraine a les moyens d'acheter le gaz russe au prix du marché mondial.
En effet, depuis 2006 les consommateurs européens commenceront à recevoir du gaz russe à 255 dollars les 1000 m3 tandis que l'Ukraine insiste sur les 50 dollars qu'elle paie aujourd'hui. Même si l'on prend en considération les frais de transit diminués, ce serait de la prodigalité de la part de la Russie, qui pourrait, rien qu'en 2006, perdre ainsi 3 à 4 milliards de dollars sur les livraisons de gaz à l'Ukraine (le gaz russe reviendrait à l'Ukraine environ 180 dollars moins cher qu'à l'Allemagne).
D'autre part, le président russe a rappelé que l'Ukraine produit pour sa part 18 milliards de m3 de gaz qui suffisent largement pour subvenir aux besoins quotidiens de la population. Autrement dit, il n'y a aucune raison d'affirmer que la Russie cherche à "faire mourir de froid l'Ukraine". D'autant que les prix intérieurs du gaz domestique en Ukraine sont plus bas qu'en Russie. On se demande si la Russie doit continuer à payer avec son argent le bien-être de ses voisins.
La position de l'Ukraine dans ce contexte a l'air d'une provocation, à notre avis. Bien que ses dirigeants assurent que les livraisons d'hydrocarbures russes à l'Europe se poursuivront sans à-coups, le fait d'évoquer de possibles complications dans ce domaine relève déjà du chantage, ce qui est inadmissible dans les relations économiques internationales normales. Apparemment, ce chantage est nourri par la perspective des livraisons de gaz par le gazoduc nord-européen mis en chantier dans le courant du mois (à l'heure actuelle plus de 110 milliards de m3 de gaz transitent tous les ans par l'Ukraine en direction de l'Ouest).
Les réactions des consommateurs ouest-européens de gaz russe aux ambitions ukrainiennes tardent à venir. On dirait qu'ils estiment que les parties au conflit finiront par s'entendre elles-mêmes, comme cela a été le cas jusqu'à présent. Dans le cas contraire, on aurait du mal à supposer que l'Occident puisse rester impassible ou remplacer la Russie pour subventionner l'Ukraine comme pays de transit.
Les analystes occidentaux indépendants estiment, pour leur part, que la perte du gaz russe à bon marché est le prix à payer par l'Ukraine.
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