L'ESPACE RECONQUIS

Voix de Russie's picture

Par Iouri Zaïtsev, expert à l'Institut académique d'études spatiales, pour RIA Novosti

L'année 2007 marque quatre grands anniversaires liés à la conquête de l'Espace. Le premier: il y a 150 ans, naissait le grand théoricien Konstantin Tsiolkovski dont les calculs mathématiques ont rendu possible la réalisation du rêve hardi des vols spatiaux. Le deuxième est la naissance, il y a 110 ans, d'Alexandre Tchijevski, fondateur de l'hélio-biologie, science qui étudie l'influence exercée par les activités solaires et géomagnétiques sur la nature vivante. Le troisième est le centième anniversaire de Sergueï Korolev, l'homme qui a été le premier à jeter les fondements de l'astronautique pratique. Et c'est enfin le 50e anniversaire du début de l'ère spatiale, qui a commencé par le lancement du premier satellite artificiel de la Terre.

Une coïncidence plus logique que fortuite. Les quatre anniversaires sont génétiquement liés à l'éternelle soif de connaissance propre à l'humanité. C'est bien cette soif qui a poussé les hommes à voyager, à redécouvrir leur planète. Instinctivement, l'humanité voyait toujours dans le ciel une source de vie dans un sens bien plus profonde que dans la terre.

Une immense période historique sépare l'époque de la naissance des premières légendes sur des vols dans l'océan aérien et plus loin et notre passé d'il y a cinquante ans où un corps artificiel, surmontant la force de gravitation, est allé dans l'Espace. Le problème le plus difficile - entrer dans le monde qui entoure notre planète - a été réglé le 4 octobre 1957. "Le premier pas de l'humanité consiste à sortir de l'atmosphère et à devenir satellite de la Terre. Le reste sera relativement facile, jusques et y compris l'éloignement de notre Système solaire".

Le chercheur estimait qu'un être élémentaire animé - baptisé par lui "atome" - constituait le fondement de l'Univers. Cet "esprit" fait la navette entre un organisme vivant et un autre. L' "atome" donne l'exemple de la future organisation de l'humanité. Les hommes devront d'abord peupler les planètes du Système solaire, puis des galaxies. Pour l'instant, ces prévisions se réalisent. Le chercheur a été le premier à appeler fusée le dispositif qui permettra de surmonter le vide spatial, à calculer la vitesse nécessaire pour s'arracher à la Terre, à régler le problème de la direction du faisceau de gaz incandescents - au moyen de gouvernails en graphite installés près de la tuyère. Même dans les détails, il a fait preuve d'une perspicacité étonnante.

Le nom d'Alexandre Tchijevski n'est pas aussi célèbre que ceux des autres explorateurs de l'Espace. Mais c'est lui qui est à l'origine de l'étude des liens Soleil-Terre et, dans un sens plus vaste, des liens entre la Terre et l'Espace, dans toute leur diversité. Le chercheur a prouvé de manière convaincante l'existence de corrélations entre les différents phénomènes de la nature et l'activité du Soleil. Sa priorité dans ce domaine est reconnue dans le monde entier.

Le "constructeur en chef" Sergueï Korolev et le "théoricien de la conquête spatiale", Mstislav Keldych, ont joué un rôle immense dans le développement de ce secteur dans le pays. En été 1946, Korolev a été nommé constructeur en chef des fusées balistiques à grand rayon d'action. En décembre de cette même année, tout juste élu académicien, Keldych a été promu directeur du "NII-1" (c'est ainsi que s'appelait à l'époque l'Institut d'études sur la force de réaction). Leur rencontre qui s'est déroulée peu après a marqué le début d'une création scientifique conjointe et de longues années d'amitié.

Le travail de Keldych au NII-1 était étroitement lié à ses recherches au Secteur de mathématiques appliquées de l'Institut de mathématiques de l'Académie des sciences de l'URSS. De 1949 à 1953, de vastes études sur la dynamique des fusées et la mécanique céleste appliquée (mécanique du vol spatial) y ont été lancées. Elles ont exercé une sensible influence sur le développement du matériel balistique et spatial. Des schémas de fusées composées, de descente balistique d'orbite d'un appareil spatial et la possibilité de son utilisation pour le retour des cosmonautes, les moyens de stabiliser l'appareil grâce à la gravitation et de nombreuses autres idées y ont été avancés et analysés en 1953.

En 1954, Keldych et Korolev ont proposé au gouvernement de l'URSS de créer un satellite artificiel de la Terre. Plus tard, Korolev a dirigé une multitude de projets spatiaux à la réalisation desquels ont pris part des dizaines de centres de recherche, de bureaux d'études et d'entreprises.

Les besoins de la science et surtout de la recherche fondamentale qui n'était plus "satisfaite" de l'information obtenue sur Terre ont constitué un des grands stimulus de la conquête spatiale. C'est dans l'Espace qu'on peut en effet observer et étudier les phénomènes et les processus jusqu'à présent inconnus, connaître les principes et les régularités de l'Univers pour utiliser les connaissances obtenues pour régler les problèmes terrestres.

La recherche fondamentale crée donc les "fondements" des études appliquées. Par cela même, la science devient une force productive. En développant la recherche fondamentale, on peut obtenir un résultat pratique incommensurablement plus notable qu'en réglant des problèmes étroits, fussent-ils prioritaires ou prestigieux à un moment donné.

Les branches principales des techniques contemporaines - électronique, énergie nucléaire, nanotechnologies - ont leur source première dans la recherche fondamentale. Certes, les éventuels débouchés pratiques ne sont pas visibles dans tous les cas, surtout aux étapes initiales des études, mais les résultats sont souvent en avance sur les attentes les plus fortes. Les études spatiales en sont l'exemple: la recherche fondamentale a non seulement appuyé en théorie la possibilité de vols spatiaux mais aussi y a participé de la façon énergique.

Ces dernières années, les tirs de satellites et de sondes interplanétaires ont fourni des renseignements uniques qu'on ne saurait souvent obtenir par d'autres moyens. En fait, nous assistons à une découverte de l'Espace circumterrestre. Avant le début de l'ère spatiale, les chercheurs étaient en fait mal informés de cette partie de l'Univers, impuissants à interpréter scientifiquement de nombreux phénomènes terrestres conditionnés par des phénomènes spatiaux.

L'étude, au moyen d'appareils spatiaux, d'autres planètes a permis de mieux comprendre l'histoire et l'évolution de la Terre. Dans un premier temps, l'étude de la Lune et des planètes avait à plus d'un titre un caractère de "découverte": les premières missions sur la Lune, Vénus, Mars, le premier atterrissage sur Vénus, les premiers satellites artificiels autour de Mars... Mais là également, on a réussi à obtenir de nombreux résultats scientifiques d'importance. Dans le Système solaire, l'étude ultérieure de corps célestes autres que la Terre a brusquement accéléré la planétologie comparative, la discipline étudiant les grandes régularités dans la formation et l'évolution des systèmes planétaires dont la multiplicité est postulée par le développement de l'astronomie.

L'étude d'autres corps planétaires peut encourager dans une mesure notable le règlement de problèmes essentiels tels que les conditions d'apparition de la vie, la nature du champ magnétique, les lois de la formation de l'atmosphère et de l'hydrosphère, la composition chimique des profondeurs de la Terre et les lois communes régissant la concentration de minerais utiles. Ces dernières années, on procède à des études planétaires systématiques. Deux problèmes fondamentaux sont prioritaires. Le premier, ce sont les origines du Système solaire, son évolution dans le passé et des prévisions pour l'avenir et le deuxième, les origines de la vie, son évolution et sa prolifération dans le Système solaire.

La mise sur orbite de nombreux appareils astrophysiques a fait naître presque simultanément de nouveaux axes dans les études astronomiques: astronomie sous-millimétrique, à infrarouges, à ultraviolets, à rayons X, à rayons gamma. L'étude de corps spatiaux dans des gammes, jadis inaccessibles, des ondes électromagnétiques, a provoqué une série de découvertes fondamentales, permettant non seulement d'approfondir nos idées sur le monde mais aussi de les repenser.

Il suffit de rappeler que la découverte du rayonnement sous-millimétrique vestige a permis de renoncer à la théorie de l'"Univers froid" en faveur de celle du "modèle chaud" du Big Bang. Au cours des dix prochaines années, la Russie projette de lancer dans l'Espace des laboratoires astrophysiques qui permettront de mener des études dans toute la gamme des ondes électromagnétiques. On pourrait donc espérer pouvoir mener des études détaillées de systèmes planétaires à proximité d'autres étoiles, obtenir de nouvelles données sur l'apparition et l'évolution de la vie, élucider définitivement le mécanisme de processus physiques dans les conditions extrêmes des étoiles à neutrons et des trous noirs, avancer résolument dans l'étude des propriétés de l'espace: le temps, les particules électromagnétiques et l'évolution de l'Univers.

L'expérience de développement de l'astronautique confirme non seulement sa grande valeur scientifique et technique mais aussi son utilité économique et même sa nécessité vitale dans la tâche qui consiste à régler, à l'échelle planétaire, des problèmes de télécommunications, de navigation, de prévision de phénomènes naturels incontrôlables, pour étudier, sous tous les aspects, l'enveloppe géographique de la planète, à des fins de sa mise en valeur efficace. Des satellites de télécommunications ont relié les continents. Sans satellites, il est impossible, de nos jours, d'imaginer un service météo. De l'Espace, nous parviennent des signaux de détresse. Au fond, le secteur spatial est depuis longtemps un secteur économique et social. Fait qui détermine à plus d'un titre la nature de son évolution ultérieure.