La petite entreprise s'inscrit dans l'image nouvelle de la Russie

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Par Youri Filippov, RIA Novosti

La brusque flambée du terrorisme international, les mesures prises pour lui faire face, les guerres menées par les Etats-Unis et leurs alliés en Afghanistan et en Irak, la confrontation avec l'Iran, l'exacerbation de la tension au Proche-Orient sont autant d'événements qui incitent à évaluer les processus mondiaux avec un regard "foncièrement différent de celui des années quatre-vingt dix". Cela s'observe dans les estimations faite par les grands moyens d'information mondiaux de même que dans les thèses publiées dans les revues scientifiques et politiques internationales et les programmes remaniés des universités.

Cela dit, il est patent que les processus, aujourd'hui estompés, entamés dans les années 90 n'ont été interrompus par personne, la chose étant d'ailleurs impossible à réaliser. Pour la Russie il s'agit surtout des réformes de marché en cours depuis déjà 15 ans, de leurs résultats intermédiaires et de leurs perspectives.
Le déplacement des préoccupations mondiales des problèmes économiques vers les problèmes politiques globaux a permis à la Russie, longtemps traumatisée par l'éclatement de l'URSS, d'occuper une place convenable parmi les grandes nations. Elle est devenue membre du G8 et elle a même présidé au sommet des leaders mondiaux tenu l'été dernier à Saint-Pétersbourg. Dans le cadre des forums internationaux, des rencontres multilatérales et bilatérales au niveau élevé la Russie prend part aux débats sur les grands problèmes préoccupant la communauté mondiale: lutte contre le terrorisme international, règlement proche-oriental, programmes nucléaires de l'Iran et de la Corée du Nord. On peut dire que l'image politique du pays, plutôt pâle les premières années d'existence de la Russie postsoviétique indépendante, correspond aujourd'hui à son poids réel sur la scène internationale.

En attendant, la situation économique du pays, les résultats des réformes économiques entamées dans les années 90 ne sont pas pour l'opinion publique mondiale aussi évidents que le renforcement des positions de la Russie sur l'échiquier international. Cela est dû à des circonstances assez désagréables pour le pays comme le blocage de son adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ou encore les déclarations tonitruantes de certains sénateurs américains réclamant l'exclusion de la Russie du G8 vu sa faiblesse économique et son inadéquation au marché.

Comment donc le capitalisme russe se présente-t-il aujourd'hui? On peut accepter certaines critiques lancées à son égard. Effectivement, la part du grand business et des corporations semi-publiques y est encore importante. Pour beaucoup c'est là un héritage de l'économie soviétique, dans laquelle la création d'unités de production jumelles était considérée comme une dépense de ressources stérile. Si bien que l'on créait de grandes entreprises industrielles qui de nos jours constituent l'épine dorsale des holdings de matières premières et métallurgiques bien connus dans le monde. Ils sont les principaux exportateurs nationaux, procurent au pays d'importantes ressources budgétaires et assurent une balance des paiements positive.
L'expansion des gaziers, des pétroliers et des métallurgistes russes sur les marchés occidentaux crée parfois en Occident l'impression pas tout à fait juste que l'économie russe ne repose que sur ces trois piliers. Il n'en est pas ainsi. Un autre business existe aussi en Russie. Selon des chiffres fournis par le ministère du Développement économique et du Commerce (MERT), on recense dans le pays environ un million de petites entreprises tandis que près de cinq millions d'entrepreneurs travaillent sans constitution de personne morale. La petite entreprise entre pour approximativement 12% dans le produit global du pays, mais par compte elle représente la cinquième partie de la population de la Russie. Bien sûr, cette proportion reste encore modeste par rapport à la France, par exemple, où plus de 15 millions de personnes sont impliquées dans la petite entreprise, soit une bonne moitié des Français exerçant un métier. Ces gens créent plus de la moitié du produit intérieur brut du pays.

En procédant à ces comparaisons il faut néanmoins prendre l'histoire en considération. L'économie de marché de la France et des autres pays occidentaux a une histoire qui s'étale sur plusieurs siècles alors que celle de la Russie en est à peine à sa quinzième année. Et puis n'oublions pas non plus que son mouvement vers le marché a dès le début connu de fortes secousses dont ont souffert les plus faibles, ceux qui en fait auraient dû constituer l'assise de l'économie de marché russe. Dans un premier temps la libéralisation des prix, par laquelle les réformes de marché ont commencé en Russie en 1992, s'est traduite par une inflation galopante qui a dévoré pratiquement la totalité des épargnes accumulées par la population les années ayant précédé les réformes. Si bien que les participants potentiels au petit et au moyen business ne disposaient pas de ressources suffisantes pour le développement. Ensuite, en 1998, consécutivement à une politique aventureuse d'emprunts extérieurs, que le ministre des Finances actuel, Alexeï Koudrine, qualifie par euphémisme d'"erreur", le pays s'est retrouvé en défaut de paiement, dont ont le plus souffert les petites et moyennes entreprises privées de fonds de roulement perdus corps et biens avec les banques en déconfiture.
Si on laisse de côté l'histoire prérévolutionnaire et les premiers pas encore très incertains faits vers le marché pendant et après la perestroïka, on s'aperçoit que le développement du capitalisme de masse et du marché actif de la Russie n'a commencé qu'une fois la Russie remise du défaut de paiement de 1998. Il lui a fallu plusieurs années pour cela.

Il est bien compréhensible que l'image de marché de la Russie dans le monde et aussi l'état social des citoyens, leurs revenus, les perspectives du développement économique du pays dépendront de la mesure dans laquelle le business russe de masse se renforcera. Pour ce faire le gouvernement réduit la pression fiscale, simplifie les modalités de création d'entreprises, lance toutes sortes de programmes d'aide au petit et au moyen business.

La question est effectivement importante: La Russie politiquement forte sur la scène internationale pourra-t-elle l'être aussi sur le plan économique tant pour les indices macroéconomiques qui ne suscitent pour ainsi dire pas d'inquiétudes (depuis plusieurs années déjà le PIB affiche une hausse qui ne descend pas sous les 5%), que pour le développement du marché de masse qui la rendra encore plus ressemblante à ses partenaires du G8? La réponse à cette question ne saurait se faire attendre.