Dépopulation de la Russie: des mesures globales sont nécessaires

Par Andreï Kolesnikov, RIA Novosti
Tout ce que l'on pouvait dire au sujet de la dépopulation en Russie a déjà été formulé récemment. Il semble impossible de changer les positions en présence. La position scientifique, défendue par les démographes et les sociologues, consiste en ce que la dépopulation est une tendance à long terme prédite en 1960, à l'époque soviétique, tendance qui, avec la baisse du nombre des citoyens aptes au travail et le vieillissement de la population, rallonge la liste des principaux problèmes des pays industrialisés.
La position politique et spéculative se ramène à la thèse selon laquelle les réformes de "rapines" ont provoqué le génocide du peuple russe et la "domination" des éléments étrangers qui ont fait que la "nation originaire de l'Etat" sombre dans le chômage et l'alcool et finit par s'éteindre. Des démographes, des statisticiens, des sociologues et des économistes se sont réunis sous l'égide le club "Forum ouvert" pour mener un débat à la manière des scientifiques, mais ils ont surtout parlé de l'aspect spéculatif du sujet.
Cet aspect spécifique du problème - les conséquences politiques de la dépopulation et les tendances qui l'accompagnent - fait l'objet du présent article.
La première réaction de l'Etat, et plutôt spontanée, à la dépopulation est la tentative pour stimuler la natalité. (Dans 50 ans, la Russie ne représentera que 1% de la population mondiale, selon les évaluations de l'ex-conseiller économique du chef de l'Etat, Andreï Illarionov). Tentative aussi naturelle que notoirement improductive, affirment à l'unanimité les spécialistes. Il est impossible de modifier de façon radicale au moyen d'une modeste augmentation des allocations la tendance démographique actuelle qui dépend moins de la somme d'argent disponible que du mode et de la qualité de la vie. Grossièrement parlant, les ménages ne veulent pas avoir d'enfants parce qu'ils apprécient beaucoup les loisirs et s'efforcent de faire des études, puis une carrière. Cette tendance mondiale n'a pas épargné la Russie. Une politique plus constructive consisterait à améliorer la qualité de la vie des générations qui font des études, qui travaillent et qui ont déjà pris leur retraite et de combattre la mortalité, très élevée en Russie, qui, comme l'a fait remarquer la directrice du département des recensements du Service fédéral des statistiques, Mme Irina Zbarskaïa, est un problème beaucoup plus sérieux que le faible taux de natalité.
Nous nous rapprochons ici tout naturellement du problème de l'immigration qui doit compléter les ressources humaines, les plus déficitaires de toutes, pendant les années à venir.
A partir de 2007 la population active commencera à diminuer, et seuls les immigrés seront capables de remplacer la main-d'�uvre disparaissante. A en juger par l'ampleur du mal (la Russie a besoin de 700.000 immigrés par an), il ne s'agit pas seulement de choisir de façon sélective du personnel instruit et de la main-d'�uvre qualifiée mais d'une immigration massive et pas uniquement russe (ce qui est salué pour des raisons naturelles : langue, mode de vie...). Les ressources de la diaspora russe sont estimées, d'après la démographe Janna Zaïontchkovskaïa, à 4 millions de personnes et peuvent donc s'épuiser très rapidement. De surcroît, pour les décider à venir, il faudra entrer en concurrence avec d'autres pays.
Cela veut dire que la Russie sera obligée de se résigner à un afflux de main-d'�uvre massif qui se dirigera tout naturellement vers les régions les plus riches, c'est-à-dire vers les plus grandes villes. Autant dire que ces villes seront encore plus surpeuplées et plus multinationales (le phénomène aura comme corollaire l'inégalité encore plus prononcée de la densité de la population dans le pays). La multinationalité se soldera par l'apparition de ghettos ethniques si rien n'est fait pour assurer l'adaptation culturelle des immigrés et la légalisation de leur activité. Comme résultat, nous aurons une croissance de l'intolérance ethnique de la population autochtone des grandes villes et de toute la population de la Russie dans son ensemble. Tout cela constitue un background favorisant la radicalisation des états d'esprit nationalistes et leur institualisation, leur entrée dans la grande politique légale et dans le débat social et politique. Au pire, la fascisation de la conscience des masses.
Ainsi, la prévention du fascisme et l'éducation de la tolérance, problèmes spécifiques de défense des droits de l'homme, deviennent, aussi emphatique que cela paraisse, une question de survie économique, sociale et politique de la Russie. Le pays aura à traverser une crise terrible, une crise d'identité, d'ailleurs caractéristique d'autres pays avancés. Ce n'est pas par hasard que l'un des derniers livres de Samuel Huntington s'appelle "Qui sommes-nous?". L'auteur analyse l'identité nationale américaine dans le contexte de la mondialisation, de l'hispanisation et de la sinisation. "L'Amérique devient le monde. Et le monde devient l'Amérique. l'Amérique reste l'Amérique", écrit-il.
Cette tendance caractérise aussi la Russie qui est un ancien empire. Nous pouvons donc dire, après Huntington : "La Russie devient le monde. Le monde devient la Russie. La Russie reste la Russie". Dans une situation aussi complexe, il est objectivement très difficile de trouver un bon système de coordonnées.
Le problème a aussi un aspect strictement social mais politiquement nuancé. La dépopulation et le vieillissement de la population augmenteront au plus haut degré l'obligation des travailleurs d'entretenir les retraités, même si l'adaptation des immigrés se déroulait selon un scénario optimiste. Cela signifie l'effondrement du système de retraite par répartition et, comme conséquence éventuelle, une hausse des impôts, nécessaire pour pouvoir contrôler la situation. Cela pourrait, à son tour, créer des problèmes politiques, comme c'est toujours le cas lorsque la population est mécontente. L'unique issue visible actuellement consiste à intensifier la réforme des retraites et à adopter rapidement un système de capitalisation des pensions.
Il est possible de venir à bout des problèmes politiques de la dépopulation. Pour ce faire, il faut faire preuve sans retard de la volonté politique de les résoudre et s'attaquer sérieusement à la réforme de la politique de l'immigration, des rapports de travail et du système des retraites.
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