LE MARIAGE "ARCELOR"-"SEVERSTAL": UNE MARQUE DE CONFIANCE A L'EGARD DE LA RUSSIE

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Par Vassili Zoubkov, commentateur économique de RIA Novosti.

Le holding sidérurgique "Arcelor", dont le siège se trouve au Luxembourg, et la plus grande société métallurgique russe "Severstal", implantée à Tcherepovets, une ville située à 400 kilomètres au nord de Moscou, ont annoncé leur fusion. On ne saurait sous-estimer la portée de cette transaction. En effet, nous venons d'assister à la naissance d'un nouveau géant métallurgique transnational en passe de devenir le numéro un mondial avec un chiffre d'affaires de 46 milliards d'euros et une production annuelle de l'ordre de 70 millions de tonnes. Soit 6% de l'acier coulé dans le monde. A titre de comparaison, la part de la production russe est de 5,2% (60 millions de tonnes).
Qu'est-ce que cette fusion va apporter aux parties? A notre avis il n'est pas très juste de prétendre qu'"Arcelor" a consenti à cette démarche parce qu'il se sentait menacé par une absorption inamicale par la société indienne "Mittal Steel (jusqu'à présent numéro un mondial). Selon le propriétaire de "Severstal", l'oligarque quadragénaire Alexeï Mordachov, les négociations avec "Arcelor" se poursuivaient depuis déjà quatre ans. Ce qui signifie que le holding européen et les métallurgistes de Tcherepovets se vouaient un intérêt réciproque depuis longtemps.

"Arcelor" était attrayant premièrement en raison de sa spécialisation similaire à celle de "Severstal": tôle automobile, articles à haute valeur ajoutée (après la fusion la nouvelle société fournira 22% de l'acier automobile produit dans le monde) et tubes d'acier de grand diamètre. Deuxièmement, par les frais de production peu élevés des articles de qualité sortis par la société russe intégrée verticalement.
Au Luxembourg on apprécie aussi très hautement les actifs étrangers de "Severstal": l'italien Lucchini et l'américaine Severstal North America. Selon les clauses du marché, Mordachov transmettra à "Arcelor" ses parts dans ces deux sociétés, 89,6% des actions de "Severstal" et un supplément cash de 1,25 milliard d'euros. En contrepartie il recevra 32,2% des actions de la nouvelle société, le poste de président du Conseil des directeurs et aura le droit de nommer 6 des 18 membres de ce conseil. Le montant total de la transaction est de 13 milliards d'euros, un record pour le marché russe.

Par le biais de son nouveau partenaire "Arcelor" aura un large accès au marché avec d'évidentes perspectives de croissance. Depuis plusieurs années d'affilée la Russie affiche de bons résultats économiques. Par ailleurs, les grands projets pipeliniers dont la réalisation commence en Extrême-Orient russe et en Sibérie sont annonciateurs pour la société unifiée de commandes de produits pour plusieurs années à l'avance.

De leur côté, les produits du combinat de Tcherepovets, en premier lieu de la tôle automobile, offriront une possibilité supplémentaire de pénétration sur les marchés européens contingentés. A l'heure qu'il est le marché local absorbe 85% de la production de "Severstal". La fusion devrait profiter aussi au programme d'investissements de la société en vue de moderniser et de renouveler la production pour la période 2003-2012 et d'un montant de 1 milliard de dollars. Le partenaire actuel des métallurgistes russes dispose de technologies et de développements dernier cri.

Qui plus est, les deux sociétés possèdent une grande expérience en matière de coopération. Elles ont conclu un accord d'assistance technique et technologique, dans le cadre duquel des conférences de techniciens se tiennent régulièrement. Des projets conjoints existent aussi. En 2004, "Severstal-Metiz" a racheté à "Arcelor" une usine de clous pour pistolets. L'année suivante, "Arcelor" et "Severstal" ont mis en service l'entreprise mixte "TA-Kord" fabriquant du câble.

Il y a quatre ans les deux sociétés avaient implanté à Tcherepovets l'entreprise mixte Severgal" (la part d'"Arcelor" y est de 25%) d'une capacité de production annuelle de 400.000 tonnes de tôle galvanisée. Le budget de ce projet se monte à 170 millions de dollars, dont l'achat des équipements, la construction, la formation du personnel et la promotion du produit. "Severgal" est entrée en service au mois d'avril dernier.

Tous ces facteurs ainsi que le fait qu'"Arcelor" a besoin de nouveaux vecteurs de développement, notamment pour rembourser un crédit de 5 milliards d'euros contracté récemment, attestent le bien fondé et le caractère réciproquement avantageux de la fusion avec "Severstal". Quant au danger émanant du consortium indien, il n'a été que le catalyseur symbolique de l'union des sociétés russe et européenne.

Maintenant, quelle est donc la composante politique de cette transaction? Pour la première fois un Russe devient propriétaire du troisième plus grand géant métallurgique mondial. Il est évident qu'une fusion de cette envergure ne s'est pas faite à l'insu des plus hautes instances. Il y a deux semaines, Alexeï Mordachov s'était rendu à Sotchi pour s'entretenir avec le président russe, Vladimir Poutine. Officiellement au sujet de la participation du grand business russe à la réalisation des projets nationaux, notamment dans le domaine de l'éducation. Mais la transaction et ses conditions avaient bien sûr été abordées. Et de toute évidence approuvées au plus haut niveau.
Le Service fédéral antitrust (FAS) lui aussi était au courant de la fusion et l'un de ses dirigeants a hautement estimé la transaction. Il est donc patent que les actions du patron de "Severstal" s'inscrivent dans le droit fil de la politique des dirigeants du pays visant la promotion du business russe à l'étranger.

En Occident on reproche fréquemment à la Russie son refus de laisser les étrangers accéder à ses branches stratégiques. Aussi ces transactions d'envergure comme celles qu'ont réalisées "Arcelor" et "Severstal", "TNK" et "BP" contredisent cette thèse. Elles plaident en faveur de la Russie, confirment sa volonté de devenir un acteur de plein droit sur le marché mondial. D'autre part, elles confirment l'attrait d'investissement grandissant de l'économie russe.

Le ministre russe des Finances, Alexeï Koudrine, a donné une appréciation positive sur la fusion. Selon lui, la Russie accède aux marchés mondiaux et le gouvernement se félicite en constatant que le business se trouve lui-même des partenaires étrangers avantageux. Selon lui, la fusion devrait avoir des retombées positives pour les économies russe et mondiale. Elle est aussi une marque de confiance à l'égard de la Russie en général.