Mieux vaut s'expliquer que déclencher une nouvelle "guerre froide"

65e anniversaire de l'Agence d'information russe RIA Novosti
Par Vladimir Simonov, RIA Novosti
Le 9 mai, la Russie célébrait le Jour de la Victoire remportée dans la Seconde Guerre mondiale. Les Russes ont entendu de nouveau la voix du speaker de la radio qui lisait les communiqués parvenant des fronts en les commençant comme suit: "Ici, le Bureau d'information soviétique ..." Les informations sur les festivités du 61e anniversaire de la Victoire sont diffusées, comme d'ordinaire, par l'Agence d'information russe RIA Novosti qui transmet aujourd'hui la majeure partie des informations sur la Russie à destination des médias russes et étrangers.
La jeune génération de Russes ne se rend probablement pas compte qu'il s'agit d'une même organisation qui a changé plusieurs fois de noms en plus d'un demi-siècle d'existence: le Sovinformburo (Bureau d'information soviétique) - l'Agence de presse Novosti - RIA Novosti. Mais la courte mémoire de la jeunesse n'empêchera pas l'Agence, qui est devenue une sorte d'institution nationale, de célébrer en juin son 65e anniversaire.
Le nouveau service de presse n'aurait probablement pas vu le jour si Hitler n'avait pas attaqué l'URSS. Au troisième jour de la guerre, le 24 juin 1941, le Comité central du Parti communiste et le gouvernement de l'URSS qui accomplissait rigoureusement la volonté du parti décidèrent de créer le Bureau d'information soviétique.
Les tâches de cette nouvelle source d'informations devaient être exécutées des deux côtés de la frontière soviétique violée par la Wehrmacht. Il était nécessaire de faire connaître à la population de l'URSS la situation sur les fronts, de l'appeler à consacrer toutes ses forces à la Grande Guerre Nationale. Staline comprenait parfaitement qu'il fallait diffuser les informations sur ce qui se passait en URSS dans les zones d'hostilités, à l'arrière, qu'il était utile qu'elles figurent aussi dans les pages des journaux étrangers et qu'elles soient retransmises par les radios ouest-européennes et américaines. Le récit de l'héroïsme des Soviétiques défendant leur Patrie et de leurs sacrifices devait forcément susciter la sympathie de l'opinion publique des pays de la coalition antihitlérienne. Cela pouvait aussi inciter les milieux dirigeants des démocraties occidentales à surmonter les appréhensions que leur inspirait la puissance militaire de l'URSS, "foyer de la peste communiste".
Bien entendu, le Sovinformburo était une structure d'Etat, officielle. Mais, pendant la guerre, le Kremlin et le peuple poursuivaient les mêmes buts. En ce sens, la nouvelle agence d'information était, au fond, un établissement social. Ce statut lui avait été conféré par les quatre Comités antifascistes qui travaillaient énergiquement au sein de l'agence: le Comité antifasciste des femmes soviétiques, le Comité antifasciste de la jeunesse soviétique, le Comité antifasciste des scientifiques et le Comité antifasciste juif. Solomon Lozovski, président de ce dernier comité, alors vice-ministre des Affaires étrangères de l'URSS, fut nommé en 1945 à la tête du Sovinformburo.
Entre 1941 et 1945, le Sovinformburo comptait environ 80 auteurs. Leur liste était une véritable encyclopédie des plus célèbres représentants de la littérature soviétique. Des articles furent écrits pour l'agence par d'illustres écrivains et journalistes: Mikhail Cholokhov, futur Prix Nobel, Constantin Simonov, poète réellement populaire, les célèbres romanciers Alexei Tolstoï, Leonid Leonov, Ilya Ehrenbourg et de nombreux autres. Leur talent multiplié par la compassion du monde entier pour les souffrances infligées par la guerre à l'Union Soviétique avait suscité un intérêt pour les informations du Sovinformburo dont ses fondateurs n'osaient pas rêver. Rien que durant les premiers mois de la guerre, de célèbres maisons d'édition occidentales avaient publié plus de 1500 articles d'auteurs soviétiques, et la demande ne cessait de croître.
Les articles pathétiques d'Ilya Ehrenbourg, au style concis, furent tout particulièrement appréciés par la presse mondiale. A cette époque-là, on l'appelait le "publiciste européen numéro un". On dit que Goebbels, ministre nazi de la propagande, convoquait spécialement des réunions en vue de trouver le moyen de répondre au littérateur soviétique.
A la fin de la guerre, l'Occident ouvrit enfin le deuxième front. L'Union Soviétique reçut en vertu du programme Lend-Lease 22195 avions, 12980 chars, 13000 canons, 427000 automobiles, 560 navires, 345000 tonnes d'explosif. Ces événements essentiels n'auraient pu se produire, et la victoire sur le fascisme n'aurait pas eu lieu sans la contribution et sans l'abnégation des auteurs du Sovinformburo, première agence soviétique avec laquelle les influents journaux et radios étrangers n'avaient pas eu peur de coopérer.
Après la guerre, ce tableau réjouissant de la solidarité informationnelle entre Moscou et le monde extérieur s'estompa rapidement. La "guerre froide" fut déclenchée et les articles en provenance d'URSS se heurtaient à la résistance des rédacteurs occidentaux qui se trouvaient, à la différence des années de guerre, de l'autre côté du front.
Dans le même temps, la mentalité, selon laquelle l'URSS était une forteresse assiégée, se propageait dans le pays. Les dirigeants du pays estimaient que les moyens d'information qui établissaient des liens entre les organisations sociales soviétiques, notamment le Sovinformburo, et les pays étrangers accomplissaient une mission inverse, car selon le Kremlin, l'idéologie bourgeoise hostile, pernicieuse faisait irruption en URSS en se servant de ces filières.
Le parcours de l'agence a été semblable au destin du pays, avec tous les zigzags et les taches noires. A la fin de 1948, le Comité antifasciste juif fut fermé, Solomon Lozovski, arrêté et fusillé. Deux célèbres journalistes sont morts pendant le printemps de Prague: leur hélicoptère d'où ils jetaient des tracts fut abattu depuis le sol. Plus tard, les correspondants de l'agence durent quitter l'Afghanistan en suivant les chars soviétiques qui s'en retiraient.
Les ennuis et les problèmes n'avaient pas empêché le Sovinformburo d'ouvrir des dizaines de bureaux à l'étranger et d'y éditer ses journaux et revues, en jouissant, comme toujours, d'une grande popularité auprès des lecteurs étrangers. L'Union Soviétique suscitait de nouveau un vif intérêt, de nombreux lecteurs voulaient savoir si elle était vraiment aussi terrible qu'on le faisait croire.
D'autre part, le Kremlin se rendit compte que la propagande politique extérieure était une grande force. Après la dénonciation des crimes de Staline et la proclamation de la thèse de la coexistence pacifique des Etats à systèmes sociaux différents, le Kremlin jugea nécessaire d'avoir un moyen plus souple de présenter au monde une image plus favorable du pays. En août 1961, l'Agence de presse Novosti fut fondée sur la base du Sovinformburo.
Plusieurs organisations sociales soviétiques fondatrices de l'APN avaient annoncé que cette agence avait un statut non pas étatique, mais social. A vrai dire, c'était vrai. Dans l'atmosphère d'optimisme instaurée par le dégel de l'époque de Khrouchtchev et le vol spatial de Youri Gagarine, la majorité des Soviétiques étaient prêts à expliquer aux étrangers qu'ils aspiraient à la paix et qu'ils croyaient en l'avènement prochain d'un avenir radieux.
En fait, l'APN oeuvrait en ce sens. Si l'on fait abstraction de la propagande déployée en réponse aux attaques de l'Agence d'information des Etats-Unis (USIA), l'équipe des 4000 journalistes de l'APN travaillait de façon impartiale en vue d'assurer le rapprochement entre l'URSS et le reste du monde, au lieu de s'isoler. Les milieux occidentaux les plus perspicaces l'avaient accueilli comme il se doit. Ainsi, le diplôme d'honneur "Rocher d'argent" fut attribué à l'APN "pour la confiance et l'amitié entre les peuples, pour avoir offert aux médias italiens des articles ayant une valeur littéraire et historique".
Depuis septembre 1991, le Sovinformburo-APN existe sous un troisième aspect, en tant qu'Agence d'information russe RIA Novosti. Mais sa vocation reste la même: présenter aux lecteurs étrangers la nouvelle Russie démocratique, montrer comment vivent ses habitants et dire à quoi ils pensent.
La demande d'information véridique est aujourd'hui aussi grande que pendant la "guerre froide". En fait, de nombreux Russes estiment que l'attitude adoptée envers la Russie par la partie non conservatrice de l'administration américaine ou les partisans exaltés des "révolutions orange" de Bruxelles peut être considérée comme une "réédition de la guerre froide". Ils n'apprécient pas la façon dont Moscou développe la démocratie. Il ne se passe pas de semaine sans qu'on reproche à la Russie l'abandon des valeurs démocratiques, les ambitions impériales dans l'espace postsoviétique ou le désir de se servir du gazoduc comme d'une arme politique.
Cela inspire des craintes aux Russes, dont 39% croient que l'OTAN et l'UE voudraient entourer la Russie d'une ceinture de régimes "orange" et l'isoler. Un nombre encore plus grand de Russes désapprouvent le messianisme des Etats-Unis qui essaient d'imposer leur modèle de démocratie à d'autres pays, à commencer par l'Afghanistan et l'Irak. En Russie, on estime que la cause principale de la résurgence de la russophobie est comparable aux prémisses de la "guerre froide" qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Les adeptes du maccarthysme avaient peur de l'extension de l'influence communiste en Europe et plus loin, à l'échelle globale. Aujourd'hui, les héritiers idéologiques de ces forces ont peur de la renaissance de la Russie après, pour reprendre l'expression d'Alexandre Soljenitsyne, l'"étourdissement national" provoqué par l'écroulement du régime communiste. Une Russie énergique et forte n'arrange pas tout le monde sur notre planète, loin s'en faut.
Quoi qu'il en soit, il vaut mieux s'expliquer au lieu de se laisser entraîner dans un remake de la "guerre froide". RIA Novosti qui aborde la 66e année de son existence voudrait œuvrer en ce sens.
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