MOSCOU ET PARIS, MEME COMBAT?

Par Alexeï Makarkine, directeur général adjoint du Centre des technologies politiques - RIA Novosti
L'animosité interethnique est l'un des problèmes sociaux les plus brûlants auxquels la Russie contemporaine est confrontée. Les passages à tabac et les meurtres d'étudiants étrangers et de travailleurs immigrés d'Asie centrale jadis exceptionnels sont devenus monnaie courante (le centre Sova a comptabilisé plus de cent agressions racistes rien que depuis le début de l'année). On observe aussi un regain d'activité des organisations fascistes qui vulgarisent ouvertement les idées condamnées jadis à Nuremberg et s'attachent à les adapter à la spécificité russe. Il s'agit en premier lieu des skinheads, ces bandes de jeunes qui terrorisent les gens n'appartenant pas à la nation titulaire.
Faisons quand même remarquer que le mouvement skinhead n'est pas une invention russe. Pendant très longtemps ce phénomène constitué par des groupuscules de jeunes nationalistes prônant l'idéologie nazie avait été privé de bouillon de culture en Russie. Après la guerre pendant plusieurs décennies le souvenir de la victoire sur le fascisme n'avait pas permis la gestation de telles organisations. La situation n'a commencé à changer que dans les années 70, quand le souvenir de l'héroïsme des combattants et des innombrables victimes a commencé à être banalisé par la propagande officielle, ce qui avait plongé les uns dans la lassitude et incité les autres à se replier sur eux-mêmes et à rechercher une alternative. Mais même à cette époque les adeptes de Hitler, commémorant son anniversaire et rêvant d'endosser l'uniforme noir des SS, était en nombre insignifiant et la plupart d'entre eux préféraient rester dans la clandestinité pour ne pas s'exposer aux foudres des parents ni risquer une exclusion des jeunesses communistes et hypothéquer ainsi leur carrière.
Si la levée du rideau de fer a contribué au retour en Russie des livres de Soljenitsyne et de Nabokov, elle a aussi favorisé une arrivée massive de phénomènes dont la société pourrait très bien se passer. Ainsi les skinheads qui devaient devenir un modèle pour les disciples russes de ce mouvement. L'accentuation des contrastes sociaux, revers des réformes de marché, a elle aussi eu un impact. Les parents n'ont pas su s'adapter aux réalités nouvelles, ils ont cessé d'être autorité morale. Les dirigeants de la jeunesse communistes se sont lancés dans les affaires et aucune alternative de masse et suffisamment attrayante pour la jeunesse ne s'est présentée (le scoutisme étant une goutte d'eau dans la mer). L'Etat et la société russes n'ont pas été à même de faire face à cette réédition du fascisme. Ni moralement, ni sur le plan organisationnel.
Par conséquent, nous sommes en présence à la fois d'un phénomène intrinsèque à la Russie et d'une maladie infectieuse que ne peuvent vaincre les Etats démocratiques dans lesquels les jeunes des couches socialement défavorisées rejoignent les rangs des "réprouvés" et des éléments agressifs. Sur ce plan, les problèmes auxquels Saint-Pétersbourg est confronté se distinguent peu de ceux que doivent régler les municipalités de Paris et de New York. Une certaine différence existe quand même, à l'étranger les bandes de jeunes sont bien plus arrogantes et bien souvent elles ont la mainmise sur des quartiers entiers dans lesquels il est instamment recommandé aux étrangers de ne pas mettre les pieds. Là bas en plus des "crânes rasés" il y a aussi des gangs ethniques, comme par exemple les groupements arabes qui l'année dernière ont mis à sac les banlieues de plusieurs villes de France, où l'état de siège a dû être décrété pour protéger la vie et les biens des paisibles citoyens.
Ce qui est clair, c'est qu'en Russie on est conscient du danger qui émane de la montée des tendances fascistes. Il y a quelque temps le problème des skinheads a retenu l'attention de quelques militants des droits de l'homme attachés aux idées libérales. Maintenant l'Etat et des forces sociales influentes lui accordent toute l'attention requise. Plusieurs politiques, professionnels de la culture et du sport ont annoncé la création de l'Association de résistance civile au fascisme. Le thème du nationalisme agressif a récemment fait l'objet d'un débat poussé à la Chambre civile.
Qui plus est, la xénophobie devient "politiquement incorrecte", ce qui rapproche la Russie des pays occidentaux. En France, par exemple, le spot publicitaire utilisé par le parti Rodina dans la campagne pour les élection à la Douma de Moscou ne serait pas passé à la télévision. Maintenant ce ne serait plus possible non plus en Russie depuis que ce parti a été interdit de participation aux élections municipales de Moscou. C'est que le plus grand risque lié au danger fasciste, c'est l'union du sommet et de la base, des skinheads et des politiques démagogues qui invoquent les instincts des masses les plus bas. Rappelons qu'en 1933 c'est ce mélange détonnant qui avait porté Hitler au pouvoir.
Evidemment, la Russie va devoir parcourir un long chemin avant de pouvoir sinon liquider entièrement l'infection fasciste (ce que les Européens tolérants ne parviennent pas à faire eux non plus, comme nous l'avons dit plus haut), au moins réduire au maximum son danger. Mais ce qui est primordial, c'est de faire les premiers pas, de prouver que l'on est armé de la volonté politique nécessaire pour vaincre ce fléau.
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