Biélorussie: l'utilisation de la "carte du gaz" pourrait avoir des conséquences inattendues même pour Gazprom

Par Igor Tomberg, chercheur à l'Institut d'économie relevant de l'Académie des sciences de Russie
Le vice-président du directoire de Gazprom, Alexandre Riazanov, a annoncé que le prix du gaz "doit être au minimum triplé par rapport à maintenant". Les 1000 mètres cubes doivent donc être facturés 140 dollars environ. Cette nouvelle a provoqué un choc à Minsk qui, s'il s'était déclaré prêt à une hausse des tarifs du gaz russe, ne s'attendait vraiment pas à un renchérissement de cette importance, qui coûtera près de 2 milliards de dollars au budget biélorusse.
En vertu de l'accord passé entre Gazprom et Beltransgaz, 21 milliards de mètres cubes de gaz doivent être livrés cette année aux prix qui étaient appliqués en 2005, c'est-à-dire 46,68 dollars les 1000 mètres cubes. En échange, Minsk a promis de favoriser l'activité de la société russe dans le pays, notamment en ne modifiant pas les tarifs du transport du gaz en territoire biélorusse. Pour le vice-président du directoire de Gazprom et directeur général de Gazexport, Alexandre Medvedev, si le prix actuellement en vigueur est nettement inférieur au prix de marché, c'est tout d'abord parce que les deux pays construisent un Etat fédéral. Ensuite, la Biélorussie est le seul pays traversé par un gazoduc d'exportation appartenant à Gazprom qui a par ailleurs pris à bail à long terme le sol sur lequel la conduite est posée. Alexandre Medvedev n'a pas caché non plus que des négociations avaient repris avec Beltransgaz et qu'en cas d'aboutissement Gazprom prendrait le contrôle de la totalité du système de transport du gaz de la Biélorussie. De toute évidence, les pourparlers marquent le pas. En effet, Alexandre Riazanov a déclaré ouvertement qu'un compromis sur le prix du gaz passait obligatoirement par l'implication de Gazprom dans le transport du combustible et l'infrastructure de distribution des pays consommateurs.
La réaction de Minsk ne s'est pas fait attendre. Le président de la commission pour l'économie, le budget et les finances de la chambre haute du parlement biélorusse, Stepan Pissarevitch, a déclaré que de telles déclarations "relèvent du chantage élémentaire et de la mauvaise conduite". Il est toujours question d'un relèvement du prix du gaz quand il s'agit de la création d'une entreprise mixte (EM) sur la base de Beltransgaz et de Gazprom, a-t-il fait remarquer. Le sénateur a rappelé que le prix du gaz pour la Biélorussie était déterminé par l'accord sur la formation de l'Etat fédéral et l'accord sur la création de conditions égales pour les acteurs économiques. Le premier ministre biélorusse, Sergueï Sidorski, a dit la même chose. "Le gouvernement biélorusse s'en tiendra aux accords que nous avons signés sur les prix égaux des produits énergétiques pour les acteurs économiques de l'Etat fédéral", a-t-il souligné.
La politique des prix de Gazprom est la même pour toutes les anciennes républiques de l'URSS, a dit le porte-parole du géant gazier russe, Sergueï Kouprianov, en commentant les déclarations tranchantes des politiques biélorusses. Pour lui, le prix du gaz pour la Biélorussie ne dépend pas uniquement de l'accord sur la création de l'Etat fédéral, d'autres documents définissent les questions ayant trait au prix du gaz et à la création de l'EM sur la base de Beltransgaz, a-t-il souligné. Le porte-parole a également rappelé que cette EM aurait dû voir le jour en 2003 mais que la chose ne s'est pas faite.
Cependant, certains politiques biélorusses ont un regard différent sur la situation concernant les prix du gaz. Pour le président de la commission pour la politique financière et l'activité bancaire de la chambre basse du parlement biélorusse, Roman Vnoutchko, celui que l'on fait chanter, c'est Gazprom qui vend à la Biélorussie du gaz aux prix intérieurs. "La Biélorussie donne la migraine à Gazprom, il est difficile à celui-ci de relever les prix pour les autres partenaires avec un tel précédent", a relevé Roman Vnoutchko. Effectivement, il n'a pas été très simple de reconsidérer les rapports de prix avec l'Arménie amie. Voilà pourquoi on peut qualifier de très opportuns les propos tenus par le patron de Gazprom pendant la visite en Russie du président arménien et concernant le nivellement total des prix appliqués à l'égard des consommateurs, y compris la Biélorussie.
Gazprom (et en sa personne les autorités russes) est accusé en permanence de se livrer à des démarches sélectives. Malgré la forte augmentation du gaz vendu aux autres membres de l'ancienne Union soviétique, pour la Biélorussie les prix étaient maintenus à un niveau extrêmement bas, que l'on ne pratique sur aucun autre marché (excepté le marché intérieur russe). Aussi la décision radicale de Gazprom est-elle considérée, entre autres choses, comme une manoeuvre politique profitable aussi bien au monopole gazier qu'aux autorités russes.
En attendant, il est bien évident que dans le cas de la Biélorussie la formation des prix échappe à la compétence des dirigeants du consortium gazier. Et puis dans les rapports avec la Biélorussie la politique s'identifie trop fortement à l'économie. Des spécialistes biélorusses font remarquer que Vladimir Poutine avait jadis proposé à Alexandre Loukachenko de laisser les acteurs économiques (publics ou privés, peu importe) régler les problèmes économiques et réserver le règlement des problèmes politiques aux seuls présidents. C'est d'ailleurs dans cette optique qu'il faut interpréter les propos du vice-président de Gazprom: les prix du gaz et les questions afférentes à la propriété de l'infrastructure de transport sont des problèmes purement économiques.
Il est peu probable qu'un triplement des prix du gaz soit appliqué dès l'année prochaine car l'économie du pays voisin aurait beaucoup de mal à faire face même à un doublement. La question sera examinée au niveau politique et l'utilisation de la "carte du gaz" pourrait avoir des conséquences inattendues même pour Gazprom. Par exemple, une accélération de l'intégration dans l'Etat fédéral ou encore du passage à la monnaie unique. Quoi qu'il en soit, la situation qui s'est fait jour montre bien que Moscou est décidé à mettre tout son poids énergétique au service de sa politique étrangère.
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