FUITE DES CAPITAUX: LE GOUVERNEMENT RESTE SEREIN

Par Alexandre Yourov, RIA Novosti
Les capitaux fuient-ils la Russie ou travaillent-ils pour elle à l'étranger ? Ce n'est pas une question sans fondement que se posent, dans leurs débats, optimistes et pessimistes. La société russe dans son ensemble se montre préoccupée par ce problème, sans pouvoir y apporter une réponse exacte.
En effet, l'intérêt pour ce thème ne faiblit toujours pas. Ces dernières années, une succession d'acquisitions effectuées par des Russes à l'étranger ont fait grand bruit et mis la population en effervescence.
Prenons l'achat, par le gouverneur de Tchoukotka et magnat pétrolier Roman Abramovitch, d'un club de football anglais. Presque simultanément, le fils du célèbre banquier russe Alexandre Smolenski acquiert, toujours en Grande-Bretagne, une usine de voitures de course. Et ainsi de suite, la liste est encore longue. Des hommes d'affaires célèbres et moins connus semblent mettre le cap sur l'étranger. Une nouvelle acquisition vient d'ébranler l'opinion. Arkadi Gaïdamak, homme d'affaires d'origine russe, a acheté France-Soir. Même si, formellement M.Gaïdamak n'a rien à voir avec la Russie, puisqu'il est citoyen israélien. Et pourtant, cette histoire ravive la vieille discussion sur la fuite des capitaux.
Effectivement, cette "fuite" a une longue histoire. Au début des années 1990, avec l'écroulement des barrières formelles qui séparaient Etats socialistes et démocraties occidentales, sont apparues des banques dont l'un des objectifs était de drainer des capitaux vers l'étranger. A l'époque, il est vrai, il ne s'agissait pas de sommes particulièrement importantes. Tout simplement, le pays ne disposait pas encore de ressources libres et, en expatriant leurs économies, les entreprises poursuivaient l'objectif bien pragmatique de les sauver face à une hyperinflation (100% en Russie, 2% en Europe).
Les premiers achats de propriétés sur la Côte d'Azur, les acquisitions immobilières en Espagne et en Grande-Bretagne remontent justement à cette époque. Aussi régulières qu'elles fussent, ces transactions préoccupaient moins l'Etat russe que les zones offshore. Des "sociétés jumelles" des entreprises situées en Russie y étaient enregistrées en masse. Avec les économies des chefs d'entreprise, des impôts éventuels ont commencé à fuir le pays. Il n'y avait rien d'étonnant à cela : l'immense charge fiscale - jusqu'à 60% - poussait, à l'époque, les entreprises à "optimiser" leurs rapports avec le fisc.
Progressivement, la situation a commencé à changer. Aujourd'hui à hauteur de 13%, le taux de l'impôt sur le revenu en Russie est l'un des plus bas au monde (l'impôt social unique est de 26%, celui sur les bénéfices de 22%). Mais la fuite des capitaux continue, représentant bon an mal an de 8,5 à 17 milliards de dollars.
Il y a eu, dans l'histoire récente du pays, des temps qui poussaient objectivement les entrepreneurs à expatrier leurs capitaux. Par exemple, au lendemain de la crise financière de 1998, lorsque le rouble s'est déprécié de trois fois en l'espace de trois mois. Mais la situation économique a commencé à se redresser en 2000. Les indices économiques ont retrouvé leurs valeurs d'avant la crise, une croissance rapide a suivi.
Sur fond de hauts cours du pétrole, les pétrodollars se sont mis à affluer en quantité dans le pays. Mais les expatriations de capitaux ont également augmenté, même si, entre 2002 et 2004, il y a eu les périodes où le rendement des dépôts en roubles dépassait celui des dépôts en devises et, naturellement, ils rapportaient bien plus que les dépôts dans les banques étrangères.
De nombreux économistes citaient l'affaire Yukos pour expliquer ce phénomène paradoxal. Mais aujourd'hui, ce problème appartient au passé et la confiance a été rétablie entre le monde des affaires et le pouvoir. Des entreprises étrangères s'installent activement en Russie. Par exemple, en 2006, le gouvernement fédéral devra passer des accords de création d'unités de production avec 9 constructeurs automobiles mondiaux. Il est donc évident que, vu les conditions économiques actuelles, le reflux de capitaux de Russie ne traduit pas une crise. De l'avis de l'économiste chef de la compagnie d'investissement Troyka-Dialogue, Evgueni Gavrilenkov, ce phénomène s'explique désormais par des processus globaux et ne reflète pas les réalités russes.
C'est ce qui explique, de toute évidence, le calme avec lequel les autorités financières russes réagissent au problème de l'expatriation de capitaux. D'une part, celle-ci reste encore importante. De l'autre, la Russie gagne énormément grâce au commerce extérieur. Souvent, les recettes ne peuvent être placées avec efficacité à l'intérieur du pays. Elles ne font que relancer l'inflation, ce qui représente pour l'économie un mal de loin plus grand que la fuite de capitaux à l'étranger.
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