STRATEGIE SIBERIENNE

Voix de Russie's picture

Par Alexandre Yourov, commentateur politique de RIA Novosti

Contrée unique, la Sibérie recèle dans son sous-sol une partie substantielle des richesses minérales de la Russie. Rien d'étonnant à ce que Moscou, en quête de nouveaux "points de croissance", ait arrêté son choix justement sur la Sibérie.

En novembre 2005, le Conseil près le représentant plénipotentiaire (polpred) du président russe dans la Région fédérale de Sibérie (RFS) et le Conseil supérieur économique de la RFS entérinaient le projet "Stratégie sibérienne : un partenariat pouvoir - business pour la stabilité sociale et la croissance soutenue". Ce document définit les grands axes du développement social et économique de la RFS, les principes de la coopération entre les autorités des entités de la Fédération, des collectivités locales et le monde des affaires, a précisé, en commentant l'approbation de ce texte, le polpred du président en Sibérie Anatoli Kvachnine.

Echelonnée jusqu'en 2015, avec des prévisions pour 2020, cette stratégie est appelée à servir de base aux plans de développement des territoires faisant partie de la RFS (les programmes de développement social et économique des régions, des municipalités et des localités doivent être adoptés avant la fin 2006). La nouvelle stratégie s'appuie sur un paquet de projets d'investissement et d'innovation concrets. Notamment, il est prévu de réaliser en Sibérie une centaine de projets d'investissement et de concrétiser les résultats de 315 études scientifiques : ces dernières, selon des experts, sont en mesure d'assurer une augmentation de 10 à 15 fois de la productivité du travail dans certaines productions. La réalisation de cette stratégie doit requérir l'équivalent de 270 milliards de dollars.

La réalisation de ces projets devrait aboutir à une progression du Produit régional brut de la Sibérie de 45% en 2010, et vers 2020 de 2,4 à 2,5 fois par rapport à 2003.

De l'avis des auteurs de la stratégie, les projets importants doivent encourager la nouvelle industrialisation de la Sibérie. Le gouvernement en a déjà sélectionné 39, au nombre desquels l'immense gisement de gaz de Kovykta et le gisement aurifère de Soukhoï-Log dans la région d'Irkoutsk, celui de minerai de cuivre à Oudokan, dans la région de Tchita.

A signaler aussi que nombre de ces projets figurent déjà dans des plans gouvernementaux. Il y a un an, le premier ministre Mikhaïl Fradkov signait l'arrêté prévoyant la construction de l'oléoduc Sibérie orientale - Pacifique. Un accord signé en novembre dernier au Forum économique russo-japonais stipule que les compagnies japonaises interviendront comme investisseurs du projet dont le coût est estimé à 11,5 milliards de roubles.

Certains projets régionaux sont au stade initial de la réalisation. Par exemple, la question du financement du chantier de la centrale hydraulique de Bogoutchany, dans le territoire de Krasnoïarsk, vient d'être réglée. En tout état de cause, deux grands groupes industriels, RAO EES (Electricité de Russie) et Bazovy-Element signaient, il y a quelques mois, un mémorandum d'intentions sur l'achèvement de la centrale et la construction, à proximité de cet ouvrage, d'une importante usine d'aluminium. Le lancement des travaux sur le gisement de houille cokéfiable à Eleguest, dans la république de la Touva, dans le sud de la Sibérie, a également été annoncé. La construction d'une voie ferrée de 443 km, destinée à assurer le transport de charbon, est aussi prévue.
La société RUSIA Petroleum, filiale de la compagnie pétrolière TNK-BP, détient la licence d'exploitation du gisement de gaz de Kovykta. Dans le cadre du projet de mise en valeur de ce gisement, l'administration de la région d'Irkoutsk a institué, conjointement avec TNK-BP, la Compagnie gazière de Sibérie orientale qui lancé la construction de réseaux de distribution de gaz dans la région.
Afin que la stratégie de développement de la Sibérie ne soit pas noyée dans la paperasserie bureaucratique, sa réalisation sera contrôlée par le Conseil économique supérieur de la RFS. Les dirigeants de toutes les entités de la Région fédérale, des chercheurs de la Filiale sibérienne de l'Académie des sciences de Russie, des personnalités publiques, de même que 17 éminents représentants du monde des affaires, dont Oleg Deripaska, Viktor Vekselberg et d'autres en font partie. Le Conseil élaborera des projets d'investissement et d'innovation et définira les problèmes stratégiques du développement de la Région fédérale requérant des solutions au niveau de la Fédération.

Ce n'est pas la première fois que la Sibérie est proposée en qualité de locomotive de l'ensemble du pays. En théorie, du moins, c'est parfaitement logique. Car la Sibérie représente la principale base minéralière de la Russie, son sol contient du plomb et du platine (85% des réserves nationales), du charbon et du molybdène (80%), du nickel (70%), du manganèse et du zinc (69%), de l'argent et du bois (40%). La Sibérie totalise 45% des ressources hydrauliques du pays.

En 1998, le gouvernement adoptait le programme fédéral ciblé "Sibérie" prévu jusqu'en 2005. Il est vrai que sa mise en �uvre n'a jamais été lancée suite aux difficultés économiques liées à la crise financière. Mais, la reprise générale aidant, la Sibérie s'est mise, depuis, à se transformer avec le pays. Les cours internationaux des matières premières, dont ceux du pétrole, très favorables à la Russie, ne l'étaient pas moins pour les investisseurs privés souhaitant financer des projets sibériens.
Dans les nouvelles conditions économiques, les perspectives de développement de la Sibérie devaient donc être définies avec davantage de précision. En 2002, le gouvernement entérinait la "Stratégie du développement de la Sibérie". Mais ce document, trop flou, ne contenait pas de repères concrets pour les administrations fédérales et pour la coordination des efforts entre la Fédération, le pouvoir, le monde des affaires et la société. Bientôt, il devenait clair que ce document était inopérant.
Les atermoiements dans l'élaboration d'un programme de développement de la Sibérie ont eu pour résultat la détérioration des indices économiques régionaux. En 2004, l'accroissement de la production industrielle par rapport à l'année précédente n'a été que de 0,6% (4% pour l'ensemble du pays). Et si, en Russie, les revenus de la population augmentaient, durant cette même période, de 14,8%, dans la Région fédérale de Sibérie, cette hausse n'a été que de 11,5%. A rappeler qu'en URSS, il n'y a donc pas longtemps, les salaires étaient les plus hauts justement en Sibérie ! La mise en valeur de la région était aidée par un niveau de vie plus élevé que dans le reste du pays. Or aujourd'hui, officiellement, le taux de chômage est en Sibérie de 3,4% (2,5% pour l'ensemble de la Russie).

Suite au chaos dans la planification stratégique de la Sibérie, la RFS ne reçoit même pas ce à quoi elle pourrait prétendre de plein droit. La part de la Région dans le total des ressources accordées à la réalisation des programmes fédéraux est extrêmement faible (4,75%). L'adjoint du polpred en RFS, Igor Prostiakov, explique cela par des erreurs sérieuses dans la présentation, par les territoires sibériens, des projets d'investissements aux organes fédéraux du pouvoir exécutif.
Roustem Khamitov, directeur de l'Agence fédérale pour les ressources hydrauliques, promet d'accorder cette année plus de 800 millions de roubles (1 euro équivaut à 34,16 roubles), soit 300 millions de roubles de plus qu'en 2005, pour mener de grands travaux sur les ouvrages hydrauliques de Sibérie. Mais, selon lui, même ces ressources restent souvent non sollicitées en raison du manque de coordination entre les entités de la Fédération et l'Agence.

Voilà pourquoi la nécessité de mettre au point une nouvelle stratégie dont la vocation serait d'imprimer une nouvelle impulsion au développement de la Sibérie est venue à maturité. Le gouvernement a institué un fonds spécial d'investissement et la Sibérie est appelée à devenir un polygone de test idéal.

Le document "Stratégie sibérienne : le partenariat pouvoir - business pour la stabilité sociale et la croissance soutenue" doit être préparé vers mars 2006. A coup sûr, il servira de base à l'élaboration de programmes d'ensemble et à long terme pour d'autres régions du pays.