LE GOUVERNEMENT RUSSE DEVIENT LA PRINCIPALE ARENE DE POLITIQUE NATIONALE

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par Youri Filippov, commentateur politique de RIA Novosti

La majorité écrasante des commentateurs russes et étrangers ont interprété les récents remaniements survenus au sein du gouvernement et de l'administration présidentielle comme le début du nouveau cycle électoral.

Le président actuel doit désigner son successeur officiel qui l'emportera obligatoirement à l'élection présidentielle du printemps 2008.

Les différences ne concernent que le nom du "successeur" de Vladimir Poutine. Sera-ce l'ancien chef de l'administration présidentielle Dmitri Medvedev, nommé premier vice-premier ministre, ce qui renforce son rôle de principal promoteur des "projets nationaux" de Poutine dans la santé, l'enseignement, le logement et l'agriculture? Ou bien le rôle de successeur sera-t-il réservé avec le temps au ministre de la Défense Serguei Ivanov qui s'est élevé au poste de vice-premier ministre? En fonction de l'évolution de la situation dans le pays dans les années à venir et de l'équilibre entre les succès économiques de la Russie et la confrontation militaire incessante dans le Caucase du Nord, l'un et l'autre peuvent devenir candidats au poste de président.

Il n'est pas exclu que les remaniements actuels soient une diversion, après quoi on verra apparaître un troisième "successeur", puis un quatrième, un cinquième etc., qui arrangera aussi bien le président actuel que la majorité des électeurs, car, malgré tout le respect envers le choix fait par le président, c'est à eux qu'il appartiendra d'élire le chef de l'Etat.

On peut se souvenir de l'opération "successeur" lancée par le premier président russe Boris Eltsine. Au printemps 1997, il nomma les "jeunes réformateurs" Boris Nemtsov et Anatoli Tchoubaïs premiers vice-premiers ministres. On leur prédisait aussi, surtout au premier, qu'ils pourraient occuper le poste de président, mais les deux hommes ont démissionné en renoncant à leurs ambitions présidentielles.
Néanmoins, le gouvernement a reçu alors, pour la première fois, le statut d'arène politique publique où doit se former le nouveau leader politique de la nation. D'ailleurs, il garde ce statut, ce qui n'est pas le cas de la Douma (chambre basse du parlement russe) à cause de sa scission politique, de son caractère relativement imprévisible et de sa faible influence sur l'adoption des décisions (cet organe représentatif prépare les décisions ou le consensus entre les lobbys influents, mais il les adopte rarement). L'administration présidentielle ne peut pas non plus devenir une arène politique, car, si les fonctionnaires présidentiels rivalisent entre eux, il n'y aura plus d'administration ni de politique, il y aura l'anarchie et le chaos.

La forme de gouvernance en Russie favorise l'émergence et l'ascension des nouveaux leaders car le gouvernement fournit les ressources, les leviers administratifs et la notoriété nécessaires, ainsi que la possibilité d'établir un contact émotionnel avec les millions d'électeurs. Si à la Douma, qui manque souvent de ressources, on peut acquérir la notoriété, à l'administration présidentielle, au contraire, les avantages qu'offrent les ressources du pouvoir sont pratiquement nuls en raison de la tabouisation de la notoriété.

Ainsi, en deux ans de travail à la tête de l'administration présidentielle, Dmitri Medvedev n'a publié qu'une interview (accordée à la revue Expert) et n'a écrit qu'un seul article politique, et ce, pour le Financial Times.

Après la désignation de Dmitri Medvedev aux fonctions de premier vice-Premier ministre et l'élévation du statut de Serguei Ivanov, le rôle politique du cabinet des ministres s'accroîtra de nouveau. Si le cycle électoral présidentiel a effectivement commencé en Russie, le gouvernement doit devenir prochainement la principale arène politique nationale. Ce n'est pas par hasard que la sphère de responsabilité de Dmitri Medvedev embrasse les "projets nationaux": ce n'est pas une nouvelle mission confiée par le président aux fonctionnaires, c'est l'objectif politique général assigné à tout le pays. Et si un homme politique brillant se distingue lors de la réalisation de cet objectif, il n'y aura rien d'étonnant à cela.