La Russie préfère construire des relations avec l'UE sur une base bilatérale

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Sergueï Karaganov, directeur adjoint de l'Institut de l'Europe de l'Académie des Sciences de Russie pour RIA Novosti.

Les relations russo-européennes sont aujourd'hui à la croisée des chemins. D'un côté, nous proclamons notre aspiration à un rapprochement, voire à une intégration, nous signons des documents retentissants dont une déclaration sur la création de "quatre espaces communs" (économie; liberté, sécurité et justice; sécurité extérieure; recherche, éducation et culture).
De l'autre, au niveau des départements concernés à Bruxelles et à la Commission des communautés européennes (CCE), on assiste souvent à un marchandage mesquin avec la Russie au sujet de questions qui ne méritent pas d’être abordées.

On a l'impression que la CCE considère la Russie comme un concurrent hostile qu'il faut affaiblir. Il suffit de citer à cet égard les nombreuses tentatives visant à priver la Russie des paiements provenant du survol de la Sibérie, trajet qui permet aux compagnies aériennes d'Europe d'économiser toujours plus. La Russie n'a pas augmenté le montant de ces paiements depuis plus de vingt ans. Compte tenu de l'inflation et de la chute du pouvoir d'achat du dollar, on peut même dire qu'elle l'a diminué.

Malgré tout cela, nous poursuivons un dialogue constructif avec l'Union européenne et ses structures bureaucratiques. Cependant, nous ne savons pas dans quelle direction l'Union se développera. Cette organisation est entrée dans une longue période de redéfinition et traverse une crise intérieure. Le fait est que l'UE, après avoir surmonté avec brio le lourd héritage des deux guerres mondiales et celui du communisme, ne sait plus trop aujourd'hui dans quelle direction elle doit évoluer. La plupart des Européens ne sont pas prêts à faire passer les prérogatives nationales au niveau supranational.
L'UE est notre partenaire, et nous ne pouvons pas être indifférents au fait que l'Europe commence à se placer derrière d'autres centres économiques mondiaux. Du point de vue de la politique extérieure, elle consomme plus d'énergie qu'elle n'en produit. Du point de vue de la politique économique extérieure, l'UE est toujours forte, bien qu'elle commence à céder du terrain. Du point de vue géopolitique, Bruxelles se met à se calquer sur d'autres pays, ce qui est désavantageux pour la Russie.

Probablement dans une quinzaine d'années, lorsque l'Union européenne définira la voie de son développement et avancera vers la création d'un quasi-Etat, d'une union économique, monétaire et sociale, la Russie aspirera à devenir membre de cette organisation. Nous rendons hommage au rôle positif qu'elle joue en Europe, nous sommes prêts à mener un dialogue avec l'UE en tant que voisine et partenaire, mais en même temps, nous souhaitons savoir dans quelle direction se dirige cette organisation.

En attendant, nous sommes obligés de réfléchir sur notre dialogue avec l'UE. Mais cette pause ne signifie pas l'inaction, encore moins un renoncement à la coopération. Moscou espère que les deux années à venir seront consacrées à la recherche des voies de développement ultérieur des relations et à l'élaboration d'un nouvel accord entre la Russie et l'UE, pour remplacer l'accord de partenariat et de coopération signé en 1994 et qui expire en 2007.

La Russie met également l'accent sur le développement des relations bilatérales avec les vingt-cinq et sur le dialogue avec la CE, en particulier dans les cas où les problèmes peuvent être résolus de façon constructive au niveau de la Commission.

De toute façon, en réglant les questions qui s'imposent, la Russie tient compte de ses propres intérêts et non pas de ceux de la bureaucratie européenne, quel que soit le respect qu'elle suscite chez nous. D'autant plus que ces derniers mois, les bureaucrates européens se sont permis dans certains cas d'adresser à la Russie une sorte d'ultimatum.

Il n'est pas non plus certain que l'Europe soit prête actuellement à proposer à la Russie des plans de coopération à long terme. Espérons que ceci puisse quand même advenir d'ici quelques années et que finalement, l'idée d'une alliance stratégique, voire même politique entre la Russie et l'Union européenne sera avancée.

Si l'on aborde les relations bilatérales entre Moscou et une série de membres de l'UE, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la France constituent les partenaires principaux de la Russie. Nous avons des relations chaleureuses avec pratiquement tous ces pays et nous nous entendons sur la plupart des sujets pressants. Je suppose que même le changement de dirigeants à Berlin ne modifiera pas profondément l'état des choses, les intérêts politiques et économiques russes et allemands étant trop entrelacés.

Quant aux relations russo-britanniques, des froissements se sont produits entre les deux parties suite au refus des Britanniques d'extrader vers la Russie Akhmed Zakaïev, considéré par Moscou comme un des leaders des terroristes tchétchènes. Cependant, la dernière rencontre entre le président russe, Vladimir Poutine, et le premier ministre britannique, Tony Blair, a démontré que les froissements appartiennent désormais au passé.

Parmi les petits Etats européens partenaires de la Russie, il faut faire ressortir sans aucun doute la Grèce, la Finlande et les Pays-Bas. Ceci ne veut pas dire que nous ne voulons pas développer des relations bonnes et constructives avec d'autres pays. Nous sommes prêts à coopérer même avec ceux dont les représentants font très souvent des déclarations anti-russes, et que nous rencontrons avec une mine ravie ou parfois dépitée.

Il s'agit des pays d'Europe orientale membres de l'UE, qui prononcent des discours anti-russes en essayant de prouver leur importance ou de remédier à leurs complexes invétérés. On n'y peut rien ici. Il y a eu bien des problèmes dans notre histoire, mais il est impossible de rester éternellement des otages de l'histoire. Nous n'avons pas l'intention de le faire. Nous sommes prêts à dialoguer avec les pays d'Europe orientale sans prêter attention, dans la mesure du possible, aux petites attaques proférées à notre encontre. Mais s'il s'agit de questions de principe, dont la redélimitation des frontières, nous défendrons notre position jusqu'au bout.