Salomé Zourabichvili, la Youlia Timochenko géorgienne?

Le limogeage de la ministre géorgienne des Affaires étrangères Salomé Zourabichvili est un grand événement dans la vie politique de la Géorgie de ces derniers temps.
Désormais l'opposition au Président Mikhaïl Saakachvili peut acquérir un puissant leader qui, de surcroît, vient de faire partie du gouvernement géorgien. Cette histoire incite à faire le rapprochement entre le "cas Zourabichvili" et l'"affaire Timochenko" en Ukraine.
Or, formellement, ce n'est pas avec le Président que Mme Zourabichvili est entrée en conflit, mais avec la majorité parlementaire qui a soumis à une critique virulente son activité au poste de ministre des Affaires étrangères. Quoi qu'il en soit, le problème est beaucoup plus compliqué qu'il ne paraît. C'est que le Parlement géorgien est évidemment sous le contrôle du Président Saakachvili.
Ainsi, quand la majorité parlementaire produit un ultimatum à la Russie, en réclamant le retrait de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud des forces de maintien de la paix, on a tout lieu de penser qu'il ne s'agit que d'une tentative de jouer une pièce depuis longtemps connue de tous mettant en scène deux juges d'instruction, l'un bon et l'autre méchant, où le rôle du méchant est attribué aux députés géorgiens. Mais seul un acteur très fort contrôlant totalement la situation peut se permettre de pareils jeux. Ce qui n'est pas le cas de Mikhaïl Saakachvili.
C'est sans doute la raison pour laquelle le Président de la Géorgie non seulement n'a pas atteint son objectif sur le volet russe, mais n'a même pas réussi dans ses relations avec la ministre des Affaires étrangères au sein de son propre gouvernement. Comme on le voit maintenant, Mikhaïl Saakachvili n'était pas sûr de la loyauté de Mme Zourabichvili. Qui plus est, à en juger d'après les informations en provenance de Géorgie, la ministre devenait de plus en plus populaire, tant au sein de la société géorgienne que parmi la classe politique du pays, qui peut, dans le contexte des problèmes abkhaze et sud-ossète en souffrance, réclamer des changements au sein de la direction de l'Etat. Enfin, les relations entre Salomé Zourabichvili et la présidente du Parlement, Nino Bourdjanadzé, alliée politique du Président Saakachvili, se sont détériorées. Somme toute, le plan de Mikhaïl Saakachvili n'était pas compliqué. Pour commencer, la ministre est critiquée par les députés. Ensuite, le Président accède aux desiderata des législateurs, en opérant une sorte de remaniement ministériel. Salomé Zourabichvili est, par exemple, mutée au poste beaucoup moins important de secrétaire du Conseil de sécurité nationale, alors que Guela Bejouachvili qui a occupé ce poste jusqu'à tout dernièrement devient, lui, chef de la diplomatie géorgienne. Bejouachvili est l'un des politiques les plus proches de Mikhaïl Saakachvili. Tout comme le Président géorgien en exercice, Guela Bejouachvili est diplômé de la faculté de droit de l'Université de Kiev.
A signaler que le remaniement ministériel est l'un des procédés préférés du Président géorgien en politique intérieure. Il a déjà déplacé à maintes reprises ses plus proches collaborateurs d'un poste à un autre. Ainsi, depuis son élection, déjà trois hommes ont occupé le poste de ministre de la Défense de la Géorgie, encore que le même Guela Bejouachvili ait occupé ce poste pendant six mois avant d'être nommé à la tête du Conseil de sécurité nationale.
Tout indique cependant que Mikhaïl Saakachvili n'a pas compris qu'il avait affaire à une "Géorgienne française", dont le professionnalisme et les ambitions dépassent de loin la sinécure que lui avait réservée le Président. Mme Salomé Zourabichvili avait passé de très longues années au service de la diplomatie française avant de devenir ministre des Affaires étrangères de Géorgie.
Par ailleurs, le temps pendant lequel Salomé Zourabichvili a exercé les fonctions de chef de la diplomatie géorgienne a de toute évidence éveillé chez elle le goût de la politique. Son mot d'ordre est prêt et elle le transmet déjà à ses sympathisants potentiels: le nouveau pouvoir géorgien n'est fait que d'héritiers du système soviétique, de l"affreux cancer communiste" (pour reprendre ses termes exacts). Plusieurs milliers de personnes ont répondu à son appel et ont organisé un meeting à Tbilissi.
Tout de suite, il s'est trouvé des politiques prêts à miser sur le nouveau leader de l'opposition. Ce sont des opposants de droite à Mikhaïl Saakachvili, membres de deux partis représentés au Parlement: "Nouvelle droite" et le Parti conservateur. De surcroît, ils sont encore plus intransigeants par rapport à la Russie que le Président Mikhaïl Saakachvili lui-même et le gouvernement géorgien. Ainsi, le leader de "Nouvelle droite", David Gamkrelidzé, estime que la démission de Salomé Zourabichvili a marqué un "changement dans la politique extérieure de l'Ouest au Nord", et que Mikhaïl Saakachvili "a tout bonnement sacrifié sa ministre à Moscou".
Mais tout porte à croire qu'il n'y aura pas de changements fondamentaux dans la politique extérieure de la Géorgie. C'est que, tout comme Salomé Zourabichvili, Guela Bejouachvili est partisan de l'intégration de la Géorgie à l'Alliance de l'Atlantique Nord. Les leaders de l'opposition exagèrent manifestement le caractère pro-russe des états d'esprit au sein de l'actuel pouvoir géorgien. Et le fait que les officiels de Tbilissi effectuent de temps à autre certaines manœuvres dans leurs relations avec Moscou témoigne seulement de leur prise en considération, aussi minime que soit-elle, des réalités effectives de la vie. Or, les appels des leaders des Etats occidentaux adressés au président de la Géorgie vont dans le même sens. Les adversaires de droite de Mikhaïl Saakachvili se positionnent d'ailleurs depuis longtemps en pro-occidentaux encore plus ardents que le leader de la "révolution des roses" lui-même.
Et ce n'est pas par hasard que le Parti travailliste, conduit par Chalva Natelachvili, qui milite pour l'amélioration des relations avec la Russie et contre l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN, n'a fait aucun cas du rassemblement des partisans de Salomé Zourabichvili au centre de Tbilissi. La semaine dernière, le leader des travaillistes géorgiens est arrivé à Moscou à l'invitation des députés de la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe) et a notamment rencontré le premier vice-ministre russe des Affaires étrangères, Valeri Lochtchinine. Et si Mme Salomé Zourabichvili ambitionne le rôle de leader de l'opposition pro-occidentale, Chalva Natelachvili est tout à fait capable de se mettre à la tête d'une opposition pro-russe en Géorgie. Les futures élections parlementaires et présidentielles en Géorgie seraient alors beaucoup plus tendues et de loin moins prévisibles que les précédentes.
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